Le temps des réformes. La crise de la chrétienté. L’Éclatement 1250-1550
Le Temps des Réformes est le premier ouvrage de Pierre Chaunu qui aborde de front les problèmes religieux. Historien de la démographie et de l’économie, il a déjà eu l’occasion de développer des idées originales sur l’évolution du christianisme dans l’Europe moderne. Son dernier livre est donc bien plus qu’une autre histoire de la Réforme.
Le propos de l’auteur est novateur à deux titres. Il renouvelle la problématique des origines de la Réforme en pratiquant un long retour en arrière, ce qui l’amène à distinguer en fait trois, voire quatre Réformes. Deux l’intéressent dans ce livre : celle de John Wyclif, et Jean Hus et la Réforme protestante. L’auteur s’efforce, dès lors, d’insérer ces phénomènes dans des séries de faits démographiques, économiques, sociaux et intellectuels significatifs. Ceci permet donc de comprendre le choix des dates (1250-1550) et celui du sous-titre de l’étude : Histoire religieuse et système de civilisation.
Les Réformes découlent d’une série de transformations opérées au « tournant du monde plein », c’est-à-dire au milieu du XIIIe siècle. Les changements dans le comportement démographique des Occidentaux, l’éclosion d’une nouvelle culture laïque sont des signes évidents de renouveau, tandis que simultanément la pensée scolastique est en crise, la religion des masses désarticulée et que de graves crises secouent l’édifice de l’Église. La première Réforme vient se placer dans cette conjoncture mais ne subsiste pas du fait de ses limites propres.
L’humanisme, selon une expression de l’auteur, « court-circuite » la masse des commentaires scolastiques et permet une nouvelle approche de l’Écriture, désormais accessible du fait de l’imprimerie (20 millions de livres circulent en Europe vers 1500). Mais c’est à Luther que revient le privilège d’apporter une réponse au problème du salut. Son itinéraire spirituel, le concours de circonstances qui l’oblige à expliciter sa pensée devant l’opinion allemande, le succès grandissant des idées nouvelles (les œuvres de Luther tirées à 300 000 exemplaires entre 1515 et 1520, ce qui est un chiffre énorme pour l’époque) sont remarquablement évoqués par Pierre Chaunu.
Le mouvement de la Réforme, une fois lancé, obéit à un rythme de développement très rapide dans l’espace comme dans le temps. En une génération, l’Europe sort transformée de cette aventure : en 1550, la Chrétienté a vécu, et les églises protestantes s’organisent sur un modèle original. C’est dans cette phase que se situe l’expérience fondamentale du calvinisme.
L’importance du livre provient de ce que Pierre Chaunu abat des cloisons : cloisons entre les périodes et cloisons entre des secteurs d’études spécialisées. L’histoire religieuse au sens traditionnel n’a plus cours, pas plus qu’une histoire exclusivement médiévale ou moderne. En ce sens, cet essai d’histoire totale est une réussite, car il met l’accent sur les conditions très spécifiques qui ont donné lieu à l’éclosion et à la diffusion de la Réforme. « C’est la conjonction Luther-Humanisme chrétien, dans le monde plein de la devotio moderna qui met brusquement tout en mouvement ». Chaque terme de cette phrase-clé du livre est l’objet de longues analyses et leur relation va de soi. L’auteur a, on le voit, le don des formules frappantes. Il évoque avec un égal talent l’évolution d’un continent comme celui d’un seul homme. L’écriture souvent ardue, et non dépourvue de répétitions ne doit pas décourager le lecteur qui, à la condition de bien connaître la période, fera l’expérience d’authentiques satisfactions intellectuelles. En effet, en rassemblant des cas apparemment isolés, l’auteur a su bâtir une synthèse très stimulante qui nous fait voir d’un œil neuf un phénomène capital dans l’évolution de l’Occident. Gageons que dans un livre à venir sur la Réforme catholique, M. Chaunu n’aura pas fini de nous étonner. ♦