Comment mon cerveau s’informe. Informatique cérébrale, Journal d’une recherche (1947-1974)
Cet ouvrage n’est facile ni par le fond ni par la forme. Il expose en effet une psychologie de l’information et se compose de 79 essais rédigés à la manière d’un journal de 1949 à 1974, ce qui entraîne quelques répétitions. Mais tel qu’il est, le dernier livre de Jean Fourastié vaut la peine que le lecteur prenne le temps de le méditer. La construction progressive de la réflexion est exposée clairement par le mode de présentation choisi par l’auteur : le développement de l’idée centrale, de sa naissance à sa pleine expression, à partir d’événements courants de l’existence, apparaît nettement et offre des aperçus saisissants sur le fonctionnement d’un esprit particulièrement pénétrant.
Est-ce volontaire modestie ? En tout cas la richesse des thèmes sur lesquels Jean Fourastié réfléchit depuis un quart de siècle déborde largement le titre banal sous lequel il les a regroupés. Formé aux disciplines classiques traditionnelles et aux études scientifiques, l’auteur expose, en fait, jusque dans ses prolongements métaphysiques, toute une théorie de la connaissance, fondée sur l’expérience de la science moderne.
La pensée humaine se présente, dit Jean Fourastié, comme « un acte incomplet », en ce sens qu’elle peut être limitée au microphysique (modification physico-chimique des molécules cérébrales) sans aboutir nécessairement au macrophysique, c’est-à-dire à une action du corps. « Le fait de l’unicité de la pensée claire domine la psychologie humaine » : c’est ce fait qui a assuré le développement de la science, mais qui limite à un seul circuit la disponibilité de l’énergie cérébrale à un moment donné. Il en résulte une possibilité de divorce entre le raisonnement – qui peut se poursuivre dans le « surréel » – et l’information, c’est-à-dire la perception des données du réel. La rationalité, dont la nature est séquentielle, est une conséquence de l’unicité de la pensée claire. Elle est faillible, dans ses applications pratiques, en raison des erreurs commises dans la perception et le traitement de l’information dues fréquemment à une opposition entre les exigences du court terme et du long terme. L’animal ne perçoit que les informations qu’autorise son code génétique, et celles-ci sont génératrices d’action immédiate. L’homme en perçoit infiniment plus ; il doit les élaborer, mais presque toujours les informations recueillies sont insuffisantes pour aboutir à une solution sûre. D’où la nécessité de remédier à ces lacunes par les « coutumes et les commandements qui… sont, comme l’instinct, plus ou moins grossièrement accordés au long terme… Il y a continuité du code génétique au code culturel à travers le rite, le mythe, la morale, la religion, la philosophie, les conceptions du monde ».
Le lecteur saisira mieux la pensée de l’auteur si, après avoir lu son introduction, il se reporte d’emblée au dernier chapitre et à ses conclusions, pour suivre ensuite le déroulement de sa réflexion. ♦