L’an prochain à Umtata
Depuis une quinzaine d’années, grâce à une dizaine d’ouvrages et de nombreux articles, Paul Giniewski s’est créé une réputation de défenseur convaincu du sionisme et de l’apartheid.
Dans un nouveau livre L’an prochain à Umtata, il poursuit sa défense et illustration du développement séparé, bien qu’il conteste que l’on puisse donner à celle-ci tout caractère « dithyrambique ». L’ouvrage, qui n’aurait pu être édité sans l’appui des services officiels sud-africains, comporte un titre qui paraîtra un peu sibyllin au lecteur non averti : Umtata – qui le sait ? – c’est la capitale du Transkei, ce premier « Foyer national noir » qui devrait accéder prochainement à l’indépendance, marquant ainsi une étape, nouvelle et décisive, dans la politique suivie avec opiniâtreté depuis trente ans par les dirigeants de Pretoria. « L’an prochain », ce n’est pas forcément 1977. Ce peut être dans deux ans, dans trois ans, ou même plus tard.
L’ouvrage ressortit à un genre qui s’apparente à la fois à celui de l’enquête – par l’abondance des données de nature sociologique et économique – et à celui du reportage – par la multiplication d’anecdotes ou de nombreuses conversations avec des interlocuteurs appartenant à des milieux très différents. En 300 pages d’une impression serrée, assorties de nombreuses photographies qui sont autant d’images d’Épinal, l’auteur préfère accumuler les faits plutôt que de dispenser condamnations ou louanges, en s’efforçant ainsi d’atteindre à l’objectivité. Peut-on être sûr qu’il y soit parvenu ?
La lecture de ce livre bien documenté donne cependant une impression de grand flou intellectuel et, finalement, laisse le lecteur sur sa faim. Comment être convaincu du succès de la politique des « Foyers », alors que l’auteur est forcé de reconnaître lui-même que le fameux rapport Tomlinson qui date de 1950 n’a pas été appliqué et que l’on en est, vingt-cinq ans après, « aux premiers stades du décollage et du remembrement » ? Les naïvetés (vraies ou feintes) abondent ainsi que les affirmations douteuses. Sur quels précédents peut-on s’appuyer pour imaginer que le Transkei pourra fonder sa prospérité sur le tourisme ? Comment peut-on affirmer que « les capitaux font la queue à la porte du Transkei », alors que le gouvernement de Pretoria s’efforce précisément de convaincre par tous les moyens – y compris financiers –les investisseurs récalcitrants ? Quant à dire que « lorsqu’ils (les 15 millions de Noirs) fourniront autre chose que leur énergie musculaire mal rétribuée, c’est-à-dire leur matière grise, ils assureront à leur propre économie et à celle de la République sud-africaine, de belles courbes ascendantes et régulières de prospérité », n’est-ce pas supposer le problème résolu ?
Dans le dernier chapitre, Paul Giniewski rappelle qu’il a voulu seulement « apporter un témoignage » et se défend d’avoir été « enrôlé sous une bannière ». Conclusion surprenante car, malgré quelques critiques de détail, son enquête ne s’écarte jamais des thèses officielles. Aurait-il, tout simplement, avant de signer son livre, été saisi d’un doute ultime ? ♦