Une politique pour La Réunion
Plus que l’intérêt normal d’un élu pour ses électeurs, il y a dans l’attachement à la Réunion de celui qui, depuis 1963, est le député de la première circonscription de l’île, toute l’affection qu’un homme de cœur peut nourrir pour un morceau lointain de la terre de France dont les habitants n’ont cessé de témoigner une constante fidélité à la mère-patrie. Départementalisée depuis 1946, ouverte au monde moderne depuis 1959 – date qui marque ce que M. Debré appelle l’ère de rattrapage – l’ancienne île Bourbon entame aujourd’hui une nouvelle étape de son développement qui doit la hausser à un niveau économique et social compatible avec celui de la métropole. Il faut pour cela un programme clair, à la mesure d’une France généreuse et qui, de toute façon, ne saurait décliner en se repliant sur l’Hexagone.
Trois lignes d’action orientent ce programme : éviter le surpeuplement ; rompre l’isolement ; éduquer filles et garçons afin d’en faire des travailleurs qualifiés et des citoyens responsables. Ces trois objectifs sont d’ailleurs intimement liés.
Depuis trente ans la population de l’Île a doublé et elle atteindra, en 1976, 500 000 habitants dont 300 000 seront des jeunes de moins de vingt et un ans. Cette montée en flèche de la population conduit, si l’on n’y prend garde, à une « situation à tous égards explosive ».
Les capacités productives et industrielles de l’île sont en effet insuffisantes pour offrir un emploi à cette jeunesse. Fidèle à sa position bien connue concernant les problèmes démographiques – problèmes dont nos concitoyens sont mal informés et dont ils ne réalisent pas la gravité – M. Debré rejette la solution de l’avortement. Le contrôle volontaire des naissances, l’action juridique pour limiter leur développement hors mariage lui apparaissent préférables. Mais il préconise surtout la migration annuelle en métropole de 8 000 Réunionnais, à la fois pour décongestionner l’île et offrir aux migrants un moyen de promotion professionnelle. C’est dans ce sens qu’il avait déjà agi alors que, Premier ministre du général de Gaulle, il avait institué aux DOM le service militaire obligatoire et créé le Bumidon (Bureau d’immigration des départements d’outre-mer). De toute façon, mieux vaut donner du travail à ces 8 000 Français de La Réunion qu’à un nombre égal d’étrangers entrant clandestinement en France et exportant une partie de leurs salaires.
Élever le niveau de vie de La Réunion sans qu’elle soit intégralement à charge de la métropole implique un développement économique qui donne la priorité à une exploitation rationnelle de la canne à sucre et de sous-produits, comme le rhum, susceptibles d’être exportés dans de bonnes conditions de compétitivité. La pêche, l’élevage et le tourisme sont les autres possibilités qui s’offrent à La Réunion pour son développement économique. Mais celui-ci passe aussi par l’aménagement d’une infrastructure – aménagement de ports, construction de routes, de barrages, pour répondre aussi bien aux besoins en énergie électrique qu’à ceux de l’irrigation des exploitations agricoles.
S’impose aussi la poursuite de la bataille sociale à gagner. Le succès passe par la mise en place d’un Secrétaire général aux Affaires sociales, la création d’un Institut de la Mère et de l’Enfant, d’un Centre départemental d’hygiène publique, etc. Quoi qu’il en soit de la réussite de ces efforts, ils ne résoudront pas tout et la solidarité de la métropole restera toujours une nécessité, une exigence morale inéluctable.
Aux séparatistes, dont la voix se fait aujourd’hui moins arrogante, et qui parlent d’autonomie, M. Debré répond que l’abandon ne serait pas seulement une chute dans la misère mais aussi le signal d’une brutale apparition des querelles raciales. La France a fait de la diversité ethnique de la Réunion « une unité de langue, de foi, de mœurs ». Elle doit poursuivre son œuvre car, nous dit M. Debré, « Il y a entre la France et la très lointaine et très petite Réunion un pacte qui ne peut être déchiré sans tragédie pour les habitants de l’île et sans amoindrissement du prestige français. De ce pacte, le patriotisme des Réunionnais est le premier garant. En retour, il faut à Paris une nouvelle prise de conscience des réalités à assumer.
L’enjeu est l’avenir de l’île. C’est important. L’enjeu dépasse l’île. Il s’agit d’un modèle de développement économique, social, humain, qui est et doit demeurer une œuvre de la France. Nous en avons les moyens. Il nous suffit de le vouloir ». ♦