Essais sur la France. Déclin ou Renouveau ?
L’auteur de ce livre est un jeune universitaire américain, d’origine autrichienne, aujourd’hui professeur à Harward, venu en France en 1930 et ayant fait dans notre pays toutes ses études jusqu’au supérieur y compris. Installé ensuite aux États-Unis dans les années 1950, il s’est incorporé à des équipes de chercheurs en sciences humaines, tout en continuant à collaborer à des revues françaises telles que Preuves, Esprit. Il est parfaitement bilingue et publie ses ouvrages indifféremment en français et en américain. Il s’est imprégné des deux cultures qui ont contribué à sa formation et ses observations sur la France sont d’autant plus pertinentes qu’il la connaît à fond, tout en l’observant de l’extérieur avec une optique dont les qualités et les défauts lui sont également familiers.
L’ouvrage qu’il nous présente aujourd’hui est, à vrai dire, un véritable « pavé » : près de 600 pages, d’une écriture serrée et peu aérée. Sur les douze chapitres qui le composent, trois seulement ont été écrits pour la circonstance. Les autres, dont deux inédits en France, ont déjà paru dans différentes revues anglaises et françaises. Mais l’ensemble apparaît néanmoins comme assez cohérent : les différents morceaux ont été très habilement imbriqués les uns dans les autres. Il n’en reste pas moins qu’il est difficile d’absorber le tout d’un trait et nous conseillons aux lecteurs de se reposer entre les chapitres.
Ces haltes seront d’autant plus nécessaires que la pensée de l’auteur se révèle d’une exceptionnelle densité. Les idées foisonnent, les démonstrations se bousculent, les raisonnements se lovent en mille boucles tortueuses et subtiles, les citations jaillissent en feu d’artifice. C’est tout à fait éblouissant, mais demande pour éviter l’étourdissement, un effort sérieux, généreusement récompensé, il est vrai, par l’ampleur et la belle ordonnance des perspectives qui s’ouvrent finalement devant le lecteur.
La sociologie, telle que la pratique Stanley Hoffmann, tient comme il se doit de l’histoire autant que de la psychologie. Il passe en revue dans son livre tous les événements marquants de la vie française depuis quarante ans, et il cherche à les comprendre et à les expliquer par le comportement individuel et collectif des Français plutôt qu’en fonction des « conjonctures » successives. L’histoire de la France, à des instants aussi différents que l’occupation allemande, l’appel à de Gaulle, la paix en Algérie ou mai 1968, apparaît ainsi comme spécifiquement liée à la mentalité des Français et comme une conséquence de leur tempérament et des structures sociales qu’eux-mêmes ont plus ou moins consciemment élaborées.
Cette sorte de psychanalyse de la société française donne lieu à des observations et à des remarques très fines, très pertinentes, et souvent assaisonnées d’une pointe d’humour qui nous rappelle fort à propos que c’est un étranger qui nous juge. Cet étranger, s’il n’était en même temps Français de cœur, nous amènerait à ne pas toujours trouver très drôles les flèches qu’il nous décoche en toute amitié.
Stanley Hoffmann a explicité le titre de son ouvrage par cette question : « Déclin ou Renouveau ? » dont les termes sont empruntés aux Mémoires de Guerre de Charles de Gaulle – le personnage, soit dit en passant, manifestement le fascine, d’autant plus, nous dit-il, que « dans la galerie des grands hommes qui donnent à l’histoire et à la culture françaises tant d’intensité, d’humanité et de couleur, il n’y a pas tant d’hommes d’État ». Mais cette question sur l’avenir c’est à nous qu’il la pose puisqu’il nous reconnaît le pouvoir, sinon toujours la volonté, d’agir sur notre destinée. Son livre nous aidera-t-il à répondre ? Sans doute, dans la mesure où il nous fournit tout un jeu de clés nous permettant d’accéder aux ressorts les plus secrets de nos comportements et de leurs conséquences. Mais moins sûrement, parce qu’il nous laisse tâtonner avec notre trousseau à un moment où, de son propre aveu, les relations de la société et de l’État passent non seulement en France, mais dans le monde entier, par une période de profond déséquilibre qui ne permet pas de trouver aisément « le trou de la serrure ».
Stanley Hoffmann, quant à lui, ne se prononce pas. Son attitude n’est en rien celle d’un futurologue et les lecteurs, certainement, lui en seront gré. ♦