Le général Leclerc de Hauteclocque, maréchal de France
Parmi les nombreux livres consacrés à Leclerc par ses camarades de combat, celui du général Vézinet occupe une place à part pour deux raisons principales.
La première, c’est que le général Vézinet s’est essayé à faire de son héros un portrait achevé. Il ne se contente pas de petites touches glanées de-ci de-là dans des conversations de popotes, ou d’anecdotes plus ou moins connues, mais cherche à pénétrer son personnage en profondeur, pour découvrir, sous l’aura que lui donnait un génie militaire exceptionnel, ce qu’était réellement l’homme, les influences qu’il subissait, les principes qui le guidaient dans la vie et la base intellectuelle des jugements qu’il portait sur son entourage et sur les événements. Parmi les compagnons du général, mis à part Repilon-Préneuf et le général Lecomte, nul n’était sans doute mieux placé que le général Vézinet pour s’attaquer à cette tâche difficile. Il a réussi à la mener à bien. Son portrait est à la fois vivant et vraisemblable, malgré quelques timidités dans l’appréciation de certaines nuances.
La deuxième raison tient au fait que l’auteur a été le premier, croyons-nous, en mesure d’utiliser des documents, communiqués par Mme Philippe de Hauteclocque, qui faisaient partie des archives personnelles du général. Il a disposé en outre des manuscrits inédits de Repiton-Préneuf, ainsi que d’une Histoire du retour de la France en Indochine en 1945-1946, également inédite, préparée et rédigée en 1947 par le capitaine (aujourd’hui général) Philippe Duplay d’après les directives du général Leclerc lui-même. Cet ensemble de documents de première main éclaire d’une façon particulièrement frappante deux épisodes souvent controversés de la carrière de Leclerc : ses différends avec le maréchal de Lattre au cours de l’hiver 1944-1945 à propos de la réorganisation du commandement dans l’armée française et son activité politique en Indochine en 1945-1946. Ils donnent aussi des indications très intéressantes sur les sentiments de Leclerc à l’égard du général de Gaulle, sur les rapports entre les deux hommes, et sur les idées de Leclerc quant à la ligne politique qu’il convenait de suivre en France au lendemain de la Libération.
De la sorte, l’ouvrage du général Vézinet déborde le cadre d’une simple hagiographie pour se classer parmi ceux consacrés à une recherche historique. Toutefois l’analyse des documents qu’il nous présente ne permet pas d’aboutir à des conclusions certaines et inattaquables parce que tous ont la même origine : Leclerc et son entourage. Il manque la contrepartie que pourrait produire l’antagoniste, c’est-à-dire, en l’espèce, le maréchal de Lattre ou l’amiral Thierry d’Argenlieu. Les prises de position du premier sont partiellement connues, mais le général Vézinet ne mentionne ni leur existence ni leur contenu. Quant à l’amiral, ce qu’il avait à dire a bien trouvé place dans ses Mémoires, mais celles-ci, sauf un premier volume, n’ont pas été publiées (très certainement en raison d’un veto du général de Gaulle). Le dossier de ces deux « affaires » n’est donc pas complet chez le général Vézinet. Si l’affaire de Lattre peut être considérée comme mineure (et c’était un peu l’avis du général de Gaulle, nous confie le général Vézinet, qui avait été chargé par Leclerc de plaider la thèse de celui-ci auprès du Gouvernement provisoire), l’affaire Thierry d’Argenlieu a, par contre, une tout autre importance historique puisqu’elle a orienté tout le déroulement ultérieur de nos efforts pour trouver une solution au casse-tête indochinois. Les éléments d’information apportés par le général Vézinet et les interprétations qu’il propose sont donc essentiels – même s’ils sont insuffisants à eux seuls pour étayer le jugement des historiens. ♦