La Restauration
Voici la troisième édition du grand ouvrage que donna sur la Restauration Guillaume Berthier de Sauvigny il y a près de vingt ans. Venant après l’« épopée » de la Révolution et de l’Empire et avant les transformations décisives de la Révolution industrielle, qui donnèrent à la France son visage moderne, la Restauration reste une période mal aimée et mal connue. Avec tout l’amour du connaisseur, et toute la sympathie du professeur à l’Institut catholique, l’auteur entend lui restituer sa dignité historique en détruisant sur de nombreux points les légendes que les propagandes adverses ont tissées après 1830. Le succès non démenti de cet ouvrage nous permet de ne pas rappeler outre mesure ses qualités de composition et d’écriture, où s’allient le goût du détail, l’art du tableau et le souci d’analyses profondes. Tel qu’il est aujourd’hui, précis et ample à la fois, il constitue une somme irremplaçable. À l’occasion de cette réédition nous ne retiendrons parmi les nombreuses facettes de ce livre que les perspectives générales.
Dans un prologue d’une centaine de pages, l’auteur retrace l’installation difficile de la monarchie légitime. Dans un pays surtout las de la guerre, la Restauration fut l’œuvre patiente et hardie de princes qui tinrent en mains peu à peu toutes les cartes de la paix. La tâche du régime était immense : trouver un équilibre entre la société nouvelle et la société ancienne. Mais la Charte, qui entérinait l’œuvre sociale et de la Révolution et de l’Empire, ne fut qu’une œuvre de circonstances. Toute l’histoire politique de la Restauration fut la faillite progressive de ce compromis qui, selon l’auteur, n’était pas condamné dès sa naissance. À cet égard l’assassinat du duc de Berry en 1820 marqua une césure profonde : après, il n’y eut plus que deux partis, les « ultras » et les « libéraux ».
Cette évolution est étudiée dans l’histoire des deux règnes, ceux de Louis XVIII et de Charles X, en quelque sorte les deux versants de la Restauration, qui encadrent au cœur de l’ouvrage le tableau minutieux et large de la France dans sa vie économique, sociale, politique, religieuse et intellectuelle. On retire de ces descriptions l’impression d’une grande diversité d’un pays qui ne vit pas dans ses partis au même rythme. Pour le fond, la France de la Restauration est « plus proche de celle de Louis XIV que de celle de Napoléon III ». La distance oppose aux relations un mur épais. Dans sa grande masse, la France est une nation campagnarde, encore fortement illettrée. Les électeurs, définis par les conditions du cens, ne dépassent guère le chiffre de cent mille. La grande révolution sociale du XIXe, c’est l’ascension possible pour les fils de la bourgeoisie. La vie politique proprement dite ne divise qu’une toute petite partie de la nation – d’autant qu’elle se concentre pour l’essentiel dans la seule ville de Paris. Si l’unification est en marche, par l’entremise de l’appareil étatique mis en place par l’Empire, il faudra attendre la révolution des transports pour en voir l’achèvement. Dès lors, parler de vie religieuse, politique ou intellectuelle impose mille prudences dans l’ignorance où nous sommes de leur réalité pour la majorité de la population. Cependant la Restauration a considérablement enrichi le patrimoine intellectuel et artistique français : les noms de Laplace, Arago, Carnot, Laënnec, Lamarck, Chateaubriand, Lamartine, Berlioz, Delacroix, entre beaucoup d’autres, en témoignent suffisamment.
La question que pose l’histoire de cette période est donc celle de son unité. Autrement dit comment tous ces « temps » historiques, politiques, économiques, culturels, prennent-ils place comme éléments d’un tout. Berthier de Sauvigny voit l’unité de la période dans la politique : aussi interprète-t-il la Révolution de 1830 comme un « accident historique ». Mais il est permis de se demander si c’est bien à ce niveau que s’exprime la réalité de la Restauration. Faute d’études encore trop peu nombreuses, l’heure d’une nouvelle « somme » n’est pas venue. Devant l’historiographie contemporaine, exigeante dans sa volonté de compréhension, le grand mérite de l’œuvre de Berthier de Sauvigny est d’introduire précisément cette nouvelle recherche. ♦