Mémoires de choc
Les temps passent vite, plus encore en politique qu’en tout autre domaine. Qui songe encore, au moment où l’Europe élargie cherche à préciser son identité, à ces temps difficiles des années 1960 où la Grande-Bretagne piétinait à la porte de l’Europe ? Il faut savoir gré à Lord George Brown de nous donner sur ces années un témoignage direct auquel la grande presse ne semble pas avoir jusqu’ici accordé toute l’attention qu’il mérite. Est-ce par regret du titre un peu tapageur que le traducteur a donné à ces mémoires plus justement intitulés en anglais « In my way » ?
C’est une très forte personnalité, on le sait, que celle de ce travailliste, né en 1914 dans une famille modeste – son père était camionneur – mais dont l’intelligence et le dynamisme furent rapidement remarqués au sein du Labour dès avant la Seconde Guerre mondiale. En 1945, il entre à la Chambre des Communes, de 1951 à 1964 il fait partie du Shadow Cabinet. Avec la victoire travailliste de 1964, il revient au gouvernement comme Premier Secrétaire d’État et ministre des Affaires étrangères. En désaccord avec le Premier ministre Wilson dont il désapprouve la tendance à gouverner selon une pratique de type présidentiel non conforme à la démocratie anglaise, il démissionne en 1966. Pair d’Angleterre en 1970, il siège depuis à la Chambre des Lords et reste l’un des principaux leaders du parti du Travail.
Trois sujets principaux sont au centre de ses mémoires : le syndicalisme et le Parti travailliste auxquels l’auteur reste sentimentalement attaché ; l’Europe et la place que l’Angleterre doit y occuper – la première, on s’en doute – une Europe amie mais non vassale des États-Unis (si George Brown démissionne en 1966, c’est précisément parce qu’il reproche à M. Wilson de s’être incliné devant une exigence américaine sans avoir consulté le cabinet) ; enfin, le Moyen-Orient où il a beaucoup voyagé, rencontrant des chefs d’État comme Nasser et Mme Golda Meir. Au moment où le Levant vient de s’embraser à nouveau, on lira avec une particulière attention les réflexions que porte sur ce problème complexe cet homme passionné mais qui veut être un artisan de paix. On lui doit notamment d’avoir proposé et fait adopter aux Nations unies, le 22 novembre 1967, la fameuse résolution 242 dont le texte a donné lieu à tant d’exégèses. Ne convient-il pas d’écouter l’interprétation qu’en donne son auteur ?
Un livre dont on appréciera la franchise un peu brusque et qui vient de ce que Lord George Brown est toujours animé de l’ardeur juvénile qui l’a porté vers les grands desseins. La préface tout à la fois amicale et critique qui lui a donné cet autre artisan de paix que fut, pour le Vietnam, M. Maurice Schumann, est particulièrement brillante et bienvenue. ♦