Reddition sans conditions
Sous une jaquette un peu tapageuse se cache une étude probe et sérieuse. De Maxime Mourin, les lecteurs de la RDN ont déjà pu apprécier les articles [NDLR 2020 : notamment celui éponyme], et sans doute ainsi connaissent-ils les trois tomes de son Histoire des nations européennes (Payot, 1962), ouvrage couronné par l’Institut. Dans son dernier livre, l’auteur étudie, à travers l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, le thème de la reddition sans conditions. De cette formule célèbre tombée de la bouche de Roosevelt à la Conférence de Casablanca (janvier 1943), certains ont pu écrire qu’elle avait « échappé » au Président des États-Unis, sous le coup d’une impulsion subite, sans qu’il en ait entrevu pleinement les conséquences dramatiques.
Maxime Mourin ne partage pas ce point de vue : la formule de Roosevelt n’est pas le résultat d’une improvisation ; elle exprime une décision lentement mûrie. Il faut en rechercher les racines, d’abord dans un moralisme religieux qui lance Roosevelt dans une guerre idéologique contre le nazisme dont seule la destruction ramènera la paix. D’autre part le souvenir de la paix inachevée et manquée de Wilson hante l’esprit de Roosevelt, ce qui implique qu’aucun adversaire ne puisse désormais contester la plénitude de la défaite et que l’on évite entre certains alliés des accords secrets trop précis pour ne pas hypothéquer l’après-guerre. Seules la réalité et la totalité de la victoire importaient. Enfin – ce qui est moins explicite dans l’esprit de Roosevelt – il apparut très vite, alors que l’accord entre Anglo-Saxons et Russes paraissait fragile qu’il était peut-être plus facile de s’entendre sur une formule telle que reddition sans conditions, plutôt que sur l’après-victoire. Et la formule, même acceptée sans enthousiasme par Churchill et par Staline, avait le mérite de rendre plus difficile toute tentative de négociation séparée avec les puissances de l’Axe.
Maxime Mourin étudie ensuite la formule à l’épreuve des faits. A-t-elle prolongé inutilement la guerre en renforçant la cohésion du peuple allemand, en donnant des arguments à la propagande de Goebbels et en interdisant toute opposition allemande efficace à Hitler ? A-t-elle interdit certains décrochages de satellites de l’Axe (en particulier la Hongrie) et par-là même toute velléité d’action britannique dans le ventre mou de l’Europe ? A-t-elle vraiment poussé le Japon à la plus extrême des résistances ?
Citons une des réponses données par Maxime Mourin : « La guerre avec l’Allemagne s’est poursuivie jusqu’à son terme rooseveltien essentiellement parce que telle a été la volonté de la grande majorité des Allemands, peuple et armée unis dans une totale communion jusqu’aux dernières épreuves, dans la vaine attente de quelque miraculeuse arme nouvelle, d’une dislocation toujours annoncée de l’alliance adverse ou d’une soudaine lassitude de l’ennemi ».
Ce livre important aurait pu être élagué de certains détails connus ou superflus pour l’étude du thème choisi. Mais il offre de nombreuses sources de réflexion sur la victoire militaire, but ou moyen, sur les difficultés de définir des objectifs politiques communs dans une coalition, sur « l’art, tout en nuances, de savoir finir une guerre ». ♦