Servir. Les armées françaises de 1940
Le général Gamelin a publié sous le titre Servir, le premier tome d’une série de Souvenirs qui constituera un document important pour l’histoire de la seconde guerre mondiale. Le premier livre de 380 pages comporte, outre une introduction, quatre parties. La première réservée à des questions d’ordre général – l’instruction d’opération du 19 mai 1940, matin, – le soi-disant « procès-verbal » de la réunion du 23 août 1939, – la réorganisation du commandement en décembre 1939, – janvier 1940, – les raisons de notre mouvement en avant en Belgique (mai 1940).
La deuxième partie contient des chapitres où sont publiées les lettres du général au ministre de la Guerre au sujet de l’effort militaire français, un chapitre sur les effectifs, un sur les matériels, un autre sur le problème des fabrications et l’organisation gouvernementale.
La troisième partie traite de la conception française de la guerre : chapitre Ier, doctrine de guerre et procédés de combat chapitre II, chars, chapitre III, aviation, chapitre IV extrait des instructions stratégiques et tactiques.
Enfin la quatrième partie compte cinq chapitres : 1° notre système fortifié, 2° bilan de la situation des forces au début de mai 1940, 3° le mouvement en avant en Belgique, 4° les événements du 10 au 15 mai, 5° discussion de quelques dépositions caractéristiques au procès de Riom.
Dans l’ensemble, ce livre est au fond la plaidoirie que le général s’est refusé à prononcer au procès de Riom « procès du régime et de l’armée française elle-même », et au cours duquel il ne voulut pas évoquer en plein prétoire les fautes et erreurs commises « alors que l’ennemi occupait la majeure partie du territoire et avait pratiquement autorité sur toute la France ». Ce n’est pas ici le lieu d’entrer derrière le général dans les détails de toutes les questions traitées par lui et, notamment, de l’une d’elles qui domine toutes les autres : dans quelle mesure l’armée française n’a-t-elle pas eu tout le matériel qui lui eût été nécessaire ? Pourquoi ? En ce qui concerne l’organisation du commandement, elle est traitée avec un grand luxe de précisions, par exemple, pages 18, 21, 53, 59, 62, 63, etc.
Le général avait été nommé le 21 janvier 1938, chef d’État-major général de la Défense nationale mais il avait, en même temps, conservé les fonctions de chef d’État-major général de l’Armée. Il soutint, en effet, que l’ensemble des opérations formait « un tout ». Il ne dissimule, cependant, point que la solution théoriquement logique eût été pour lui d’être uniquement chef d’État-major général de la Défense nationale avec des pouvoirs plus étendus et un véritable État-major général de la Défense nationale, comme celui qui a été réalisé depuis la Libération. Toutefois, le général Gamelin avait délégué ses pouvoirs au général Georges, sur le théâtre du Nord-Est et lui avait laissé, prétend-il, la plus grande initiative en ce qui concerne les opérations sur ce théâtre. Selon l’expression même du président Daladier (au Sénat, 24 février 1938), il n’était que le « coordinateur » suprême. Il n’avait pas hésité, en pleine guerre, à réformer le GQG : son quartier général restait à Vincennes, celui du commandement du front du Nord-Est à la Ferté-sous-Jouarre, ce qui n’alla pas sans des inconvénients de liaisons sérieuses dans les jours décisifs.
Il faudrait un article, ou même un livre entier, pour discuter les théories du général Gamelin au sujet de l’emploi stratégique des forces alliées. Il rejette une grande part de la responsabilité de la défaite sur la théorie défensive constamment encouragée, dit-il (p. 369), par Pétain, notamment dans sa préface au livre strictement défensif du général Chauvineau. Il incrimine également le manque d’organisation défensive de la région Nord, la supériorité numérique des forces et du matériel ennemi. Enfin, passant à une autre question essentielle, celle de la percée allemande en Belgique et sur la Meuse, il s’efforce de légitimer la stratégie approuvée par lui par l’intérêt que nous avions à raccourcir notre front de 70 à 80 kilomètres, par le devoir moral de soutenir l’armée belge. Comme s’il s’agissait, d’ailleurs, d’opérations auxquelles il n’aurait participé qu’en simple spectateur, l’ancien généralissime leur consacre des critiques et observations telle que celle-ci : « Il est évident que le mouvement en avant de notre aile gauche devait s’accompagner d’une manœuvre de nos réserves. » Le livre s’achève sur un éloge de l’effort, sur la nécessité de nous refaire des âmes viriles, de nous garder des verbiages, des formules sonores et creuses, pour ne penser qu’à l’action.