La fermeture du Canal de Suez consécutive au conflit israélo-arabe avait notablement réduit l'intérêt porté jusqu'alors à la mer Rouge. Depuis, cette voie d'eau qui relie la Méditerranée à l'océan Indien a repris ses fonctions. En même temps s'opèrent, sur la rive africaine de cette mer, des mutations politiques et se développent des conflits régionaux dont l'importance n'échappe à personne. La mer Rouge est ainsi devenue une zone d'affrontements complexes, et l'Arabie saoudite, à la tête des pays arabes modérés, déploie ses efforts pour qu'elle appartienne au monde arabe. Mais la paix – une paix arabe – a-t-elle des chances de s'y installer ? L'auteur, qui dans une précédente étude parue ici même en juillet 1977, avait analysé les facteurs entrant en feu dans la compétition pour la maîtrise du Golfe, dresse un tableau de la situation actuelle dans la Mer Rouge et tente de répondre à cette question.
La mer Rouge peut-elle devenir un « lac de paix » arabe ?
Pour ceux qui ont suivi avec passion, dans les années trente, les aventures d’Albert Londres (Pécheurs de perles) et d’Henry de Monfreid (Les Secrets de la Mer Rouge, Le drame éthiopien, L’Île aux perles, Trafic en Mer Rouge, et bien d’autres), la Mer Rouge a toujours exercé cette sorte de fascination que suscitent à la fois les mystères de la mer et la découverte de contrées hostiles. La contrebande des armes, l’acheminement de convois d’esclaves de l’Afrique vers l’Arabie, la pêche et le commerce des perles entretenaient alors dans cette région tout un trafic occulte qui attirait par là même bon nombre d’aventuriers, arabes et parfois européens, que l’administration locale pourchassait avec bien des difficultés. À cela s’ajoutaient les rivalités politiques des deux grandes puissances du moment : la France et la Grande-Bretagne.
Mais bientôt cette légende doit faire place aux réalités moins romantiques de notre temps : l’acheminement du pétrole par le canal de Suez, l’accélération des échanges commerciaux et le conflit israélo-arabe font de la Mer Rouge une nouvelle zone stratégique dont le contrôle ou, à défaut, la neutralité s’avèrent d’autant plus indispensables que se situe géographiquement ici la coupure entre l’Afrique et l’Asie. Du côté de la rive africaine, le Soudan, l’Éthiopie, la Somalie, la nouvelle République de Djibouti et dans une moindre mesure l’Égypte, sont le théâtre de mutations politiques profondes et doivent faire face — pour certains — à des guérillas fort actives. De l’autre côté, les pays arabes modérés qui tirent des revenus considérables de leurs richesses pétrolières — l’Arabie Seoudite, le Koweit et les Émirats Arabes Unis — veulent assurer la sécurité de l’acheminement du précieux liquide tout en suscitant autour de l’Arabie la formation d’un « glacis » de pays amis. Aussi, après avoir assuré tant bien que mal la sécurité du Golfe, la « Sainte Alliance arabe modérée » entend-elle, sous la direction de l’Arabie Seoudite, réussir à faire de la Mer Rouge « un lac de paix » arabe. Pour ce faire elle engage aujourd’hui un combat diplomatique et économique d’envergure afin de s’allier, sur les deux rives de cette mer convoitée, le plus grand nombre d’États. Les moyens employés sont à la mesure de l’entreprise, c’est-à-dire immenses, et les grandes puissances suivent avec la plus grande attention la lutte qui se déroule.
Anciens et nouveaux intérêts de la Mer Rouge
Inauguré le 17 novembre 1869, après dix ans de travaux, le canal de Suez, nationalisé le 26 juillet 1956, relie la Méditerranée à l’Océan Indien et fait de la Mer Rouge une voie d’eau essentielle puisqu’en 1966 — avant sa fermeture — le trafic représente, avec 241 893 000 tonnes, 13 % du trafic mondial. Dans ce tonnage sont compris les 176 millions de tonnes de pétrole chargées à l’époque dans le Golfe et qui transitent par le canal, soit 36 % de la production du Golfe. En distance, par rapport au trajet par le Cap de Bonne Espérance, le gain est considérable puisqu’il atteint 42 % et 28 % entre Koweit et Baltimore. Par suite de la guerre de juin 1967, de la guerre d’usure (1969-1970) et de celle d’octobre (1973), les obstacles à la navigation qui se sont accumulés entraînent la fermeture du canal jusqu’au 5 juin 1975. Cependant les dégâts sur les berges, un ensablement consécutif à un arrêt du dragage pendant huit ans et la reconstruction des différentes gares maritimes qui se poursuit aujourd’hui ne permettent pas de retrouver d’emblée le rythme de passage de 1966 : à cette époque 58,2 navires par jour contre 43,7 en mars 1976. D’autre part, voie d’eau principalement pétrolière avant sa fermeture, le canal est devenu, après sa réouverture, une voie marchande. Les pétroliers modernes ont en effet un tonnage supérieur à 200 000 DWT. Le doublement des droits de péage pour le canal et le marché des frets caractérisé par une capacité de transport excédentaire jouent enfin en défaveur de Suez. Aussi les autorités égyptiennes prévoient-elles que seulement 40 % des marchandises transitant par le canal seront constituées de pétrole brut contre 75 % avant la fermeture.
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