L’Asie du Sud-Est
Six spécialistes réputés ont collaboré aux deux tomes magnifiquement présentés consacrés à cette Asie du Sud-Est, dont les auteurs font remonter l’histoire au-delà de l’aube du XXe siècle, en dépit du titre de la collection que dirige l’éminent historien et académicien, Maurice Baumont. MM. Le Thanh Khoi, maître de recherches à l’Institut d’étude du développement économique et social (IEDES), en a rédigé l’introduction et la conclusion ; Jean Perrin, ancien chargé de cours à l’Université de Rangoon a traité la partie consacrée à la Birmanie ; Pierre Festié, chargé de la recherche à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), la Malaysia [Malaisie], Singapour, Brunei, ainsi que la Thaïlande ; Georges Fischer, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les Philippines ; Philippe Devillers, maître de recherches au CNRS, le Cambodge, le Laos, le Vietnam, ainsi que l’Indonésie, en coopération avec François Cayrac-Blanchard, de la FNSP, pour ce qui concerne la période postérieure à 1950 de l’histoire d’Indonésie.
Il ne peut être question, en quelques lignes, de rendre compte d’un ouvrage de cette importance où chaque pays fait l’objet d’une étude approfondie (c’est ainsi que la partie consacrée aux trois anciens États de l’Indochine compte près de 400 pages). On retiendra seulement la perspective dans laquelle se situe l’ensemble et qu’indique parfaitement l’introduction de Le Thanh Khoi.
Alors que dans la seconde moitié du XIXe siècle les réactions à l’occupation coloniale ont pris la forme de mouvements patriotiques animés par les tenants de l’aristocratie, au début du XXe siècle, les transformations de l’économie traditionnelle vont aboutir à la dépossession des paysans et à la formation d’un prolétariat citadin ; ceux-ci nourriront les nationalismes et leurs fourniront le substrat populaire qui manqua à la révolte des lettrés et aux mouvements des sociétés secrètes au cours de la période précédente.
Là où la puissance occupante fera preuve de libéralisme (Philippines, Birmanie), l’évolution se fera de façon pacifique vers un transfert progressif de souveraineté ; là où elle croira pouvoir étouffer le nationalisme par la répression, la violence apparaîtra comme le seul recours pour parvenir à la fois à l’indépendance et à la liquidation des vestiges féodaux.
La crise économique de 1929, les succès japonais de 1941-1942, puis la défaite de 1945 précipiteront cette évolution.
S’il est indéniable que les partis communistes jouèrent, dans cette lutte pour l’indépendance, un rôle déterminant, leur action différa sensiblement suivant les conditions locales et fut profondément marquée par les personnalités qui les animèrent. En fait, seul le communisme vietnamien bénéficia d’un chef génial : Ho Chi Minh, qui, suivant l’expression de Philippe Devillers, « vietnamisa le marxisme » en le sortant de l’abstraction et du jargon et en lui donnant « un visage à la fois humain et national où tout ce que le peuple honorait et respectait ataviquement (…) s’est trouvé intégré ».
Philippe Devillers a le mérite de rassembler en une dizaine de chapitres l’histoire du Vietnam depuis la conquête française jusqu’à l’intervention militaire des États-Unis et la Conférence de Paris. À notre connaissance il n’existe pas d’ouvrage offrant ainsi une perspective unitaire et complète du Vietnam. Tous ceux que le destin tragique de ce peuple émeut ne regretteront pas la lecture de ces deux cents pages plus passionnantes encore que le reste de l’ouvrage.
Chaque étude comporte une carte, une bibliographie et un index fort utile des noms propres et des multiples organisations et partis historiques. L’ensemble est de grande valeur. Ce n’est nullement un ouvrage d’érudition mais une œuvre de base indispensable à qui veut saisir les phases d’un mouvement complexe et pourtant capital pour la compréhension de l’histoire du XXe siècle. ♦