La révolution technétronique
Pour désigner ce que d’autres appellent l’ère postindustrielle, Zbigniew Brzezinski a forgé ce néologisme, composé de « technologie » et d’« électronique » qui sont selon lui les deux moteurs principaux de la transformation présente et à venir des sociétés les plus développées. Ce qui distingue la société technétronique naissante de la société industrielle qui l’a précédée, c’est que dans celle-ci le progrès technique était appliqué principalement à accroître la capacité de production et n’avait que des effets résiduels sur les conditions de vie des individus et des sociétés, alors qu’à l’avenir il sera de plus en plus utilisé directement pour modifier ces conditions.
Zbigniew Brzezinski insiste surtout sur un des aspects de cette transformation des conditions de vie : la possibilité offerte par les progrès de l’électronique de diffuser et de traiter des quantités toujours plus grandes d’information, qui aboutit à la création d’une « cité mondiale ». Dans la période de transition que nous vivons actuellement, la révolution technétronique est profondément ambivalente : elle est un facteur d’unification par la création d’une conscience planétaire, mais en même temps elle substitue aux anciennes divisions particularistes de l’humanité de nouveaux clivages fondés sur l’inégalité d’accès au contrôle et aux effets de l’évolution technique. Elle fait apparaître une nouvelle classe dirigeante scientifique, et suscite des réactions de défense et de refus y compris au sein du groupe des savants et des techniciens. Elle crée de nouveaux moyens de coopération internationale et des occasions nouvelles de conflits.
Mais l’élément le plus important de la thèse de Zbigniew Brzezinski n’est pas dans cette analyse qui a déjà été faite par d’autres, mais dans le rôle que doivent jouer selon lui les États-Unis dans cette révolution : « … le reste du monde apprend ce que l’avenir lui prépare en regardant vers les États-Unis ». L’Amérique expérimente la première les effets de l’entrée dans cette « troisième révolution », et est, par son influence dans le monde, le moteur de la révolution universelle. Il dépend des choix qu’elle fera, et des réactions d’imitation ou de refus qu’elle suscitera, que le progrès technique soit pour la planète porteur de bienfaits ou de catastrophes.
Cette attitude, assez typique d’un certain kennedysme, est pour des Européens un rappel utile : s’ils veulent le progrès technique et économique, ils doivent savoir qu’ils ne pourront pas éviter de se poser certains problèmes actuellement spécifiquement américains. Pour des Américains, elle est à la fois réconfortante et dangereuse dans la mesure où elle les persuade de l’originalité absolue de leur situation. L’actuelle incertitude politique dans laquelle vivent les États-Unis est sans doute due à la rapidité du changement technique, mais sans doute aussi au problème noir et à la guerre du Vietnam, phénomènes dont les origines n’ont rien de technétronique.
Quant au modèle, il n’est pas sûr qu’il soit nécessaire ni souhaitable de le suivre en tout. L’innovation pose deux problèmes, un problème d’adaptation et un problème de contrôle. Le système socio-politique américain est sans doute le plus flexible et le plus capable d’adaptation qui soit, mais la capacité de contrôle des systèmes européens plus rigides est certainement plus grande. ♦