Chanzeaux, village d’Anjou
Sous la direction de Laurence Wylie, professeur de sociologie française à l’Université de Harvard, toute une équipe de collaborateurs américains a minutieusement étudié, pendant huit ans, un village proche d’Angers, à la limite orientale des Mauges, à la jonction de l’ancien « pays chouan » (ou plutôt vendéen) et du Saumurois. Cette longue étude est menée scientifiquement, mais présentée suivant une formule agréable de descriptions successives de la société communale où l’humour n’est pas absent, non plus que la marque d’un sincère attachement pour ce coin de terre française où les traditions catholiques et conservatrices sembleraient avoir pour toujours dessiné des traits immobiles suivant un schéma simple.
Il en va cependant tout autrement. Les enquêteurs ont été eux-mêmes surpris – comme le seront sans doute aussi leurs lecteurs français – de la complexité des relations humaines dans cette société en miniature qui ne comprend que 1 150 habitants ; ils l’ont été plus encore de la mobilité de cette population depuis plus d’un siècle, mobilité qui, loin de modifier ses caractères fondamentaux, les renforce, car les mouvements se produisent dans les élites et les catégories les moins favorisées, donc parmi les éléments qui pourraient être le plus tentés de provoquer ou de désirer un changement.
Mais cette commune uniquement agricole se trouve cependant confrontée à une évolution qui affecte l’ensemble du pays. Elle la subit et tente de la suivre. La question est de savoir si sa structure sociologique est susceptible de se transformer elle-même, du fait des pressions extérieures, ou si elle en est incapable. En d’autres termes, devant les mutations de notre temps, une commune de ce genre est-elle destinée à vivre ou à mourir ? L’étude porte donc essentiellement sur ce qu’est exactement la force d’inertie de cette organisation humaine qui, depuis des siècles, est fidèle à ce qu’elle a toujours été et ne veut – ou ne peut – s’adapter aux conditions modernes qu’en évitant toute rupture.
Les auteurs espèrent que les forces progressistes l’emporteront. Les habitants de la commune, dans un chapitre où ont été recueillies leurs observations sur le livre qui leur était consacré, se montrent beaucoup plus nuancés. En fait, ce que raconte cet ouvrage, c’est le drame de la paysannerie française, à partir d’un exemple qui, dans ses grandes lignes tout au moins, peut être généralisé à tout l’Ouest de la France, sinon à la France entière. On apprendra beaucoup en lisant cette étude. ♦