Les managers européens
Le lecteur pressé peut se contenter de lire l’avant-propos dont l’auteur a fait précéder le texte des seize interviews qu’il a eues avec des dirigeants d’entreprise. Allemands, Italiens, Belges, Suisses, Néerlandais et Français. En effet, il y condense les conclusions qu’il en a tirées. Mais il serait cependant dommage de ne pas connaître les conversations ainsi menées au cours de ces deux dernières années.
Le but de Roger Priouret était de tenter de définir les caractères généraux de la direction des entreprises en Europe – dans l’Europe des Six notamment – au moment où allait commencer la décennie 1970. Il ne s’agit pas de dégager des tendances économiques, mais bien précisément de faire apparaître l’attitude de quelques « grands patrons » sélectionnés vis-à-vis d’un problème capital, celui du commandement de l’entreprise. Voilà un point qui peut tout particulièrement intéresser tous ceux qui, dans leurs activités civiles ou militaires, ont des responsabilités de décision et d’action. C’est donc beaucoup plus sur le comportement d’hommes qui, dans leur métier courant, doivent conduire et diriger d’autres hommes, que sur tout autre point, que porte cet ouvrage.
L’auteur se garde de conclusions définitives. Il présente les siennes comme des hypothèses, ce qui est une manière sage de procéder au moment où le monde se transforme vite et où il est particulièrement difficile de découvrir des lois à partir d’observations fragmentaires et momentanées. Il estime que les ressemblances entre les hommes interviewés sont plus profondes que leurs dissemblances, encore que celles-ci se ressentent fortement de l’environnement économique national dans lequel ils sont respectivement placés ; ces dirigeants envisagent leur problème du point de vue mondial, ayant dépassé le cadre européen, a fortiori le cadre national dont ils subissent pourtant les habitudes ou les contraintes. Peu sensibles en général à l’aspect nouveau des relations entre employés et patrons, encore que de leur propre chef ou suivant les lois de leur pays ils doivent se conformer à une nouvelle manière d’être, de penser et d’agir, ils voient mal, ou pas du tout, un phénomène qui semble pourtant à l’auteur fort important : la désaffection des employés pour le travail qu’ils doivent faire, tant que ce travail reste régi par des règles d’autrefois ; ils tirent mal les conséquences de la dégradation de la fidélité de la clientèle, sollicitée par divers produits comparables. Ils comprennent encore mal ce que peut être l’intéressement du travailleur – non pas au plan matériel qui est souvent le seul invoqué – mais au plan intellectuel et technique. En lisant ces lignes de Roger Priouret, nous nous rappelions une conférence du Maréchal Montgomery à notre École de Guerre : « Je vais vous exposer, disait-il, comment on gagne une bataille. Il faut d’abord l’expliquer aux soldats qui vont la mener ».
Nul doute que ce livre clair, d’une lecture facile, ne soit lu par ses lecteurs avec un intérêt diversifié et dépassant peut-être largement le sujet traité. ♦