Science et politique
Aux siècles passés et jusqu’aux premières décennies du siècle présent, le pouvoir politique n’a guère servi la science ; mais celle-ci ne s’en est pas davantage servie, sauf dans des moments de crise extrême dont la Révolution française est l’exemple le plus net. Le développement de la science et de la technologie, en grande partie conséquence des besoins militaires de la guerre chaude ou froide, en effaçant ou estompant les limites entre la science pure et l’application technologique, a fait de la science une affaire d’État, donc un instrument au service de celui-ci et des buts immédiats ou à court terme qu’il poursuit. Le caractère instrumental de la science soulève d’innombrables questions : celle des crédits nécessités par la recherche et le développement, celle des options et des priorités qu’implique nécessairement la répartition de ces crédits qui viennent obligatoirement, pour la part la plus grande, du pouvoir politique, celle de la justification rationnelle de ces choix, de la planification de la recherche, celle de l’attitude de subordination du savant qui voit sa liberté aliénée, et bien d’autres questions de la même importance. Mais aussi celle de l’avenir de la science elle-même, qui dépend évidemment des conditions dans lesquelles il peut se préparer.
Sur ces thèmes, Jean-Jacques Salomon a écrit un essai philosophique qui a l’inconvénient d’être long, abondant, trop riche, aurait-on tendance à penser, de substance ; plus court, réduit à ses grandes idées maîtresses, cet essai aurait été certainement, en même temps que plus accessible, plus démonstratif. Le mérite demeure cependant d’avoir tenté de faire le tour du problème, encore que les sciences humaines aient été rarement abordées et que la réflexion porte essentiellement sur les sciences de la nature ; mais précisément, l’application d’une pensée philosophique à l’état dans laquelle notre société se trouve placée par l’irruption scientifique et technologique dans notre vie matérielle et intellectuelle de tous les jours, montre clairement que les sciences de l’homme restent déterminantes.
Du très long chapitre de conclusion, on peut retenir que l’auteur espère que le savant ne disparaîtra pas pour s’effacer devant le scientifique ; celui-ci est un professionnel qui remplit une fonction, celui-là un idéaliste qui répond à une vocation et, comme tel, est neutre et se refuse, quels que soient par ailleurs ses sentiments et ses désirs personnels, à subordonner la science à la politique ; cette position de principe n’entraîne pas un renoncement à tout rôle social, car « le savant n’est pas seulement celui qui sait et fait la science pour la science, il est aussi celui qui la pense comme problème pour l’humanité ». ♦