Remagen, le pont de la chance
Si le pont de Remagen sur le Rhin a pu être capturé, pratiquement intact, le 7 mars 1945, par les Américains, c’est que les charges explosives installées par les Allemands étaient insuffisantes et que l’une d’entre elles au moins n’a pas fonctionné. À cette donnée de fait, qui aurait pu sans doute être modifiée, s’ajoutent des causes supplémentaires : le grand désordre qui régnait déjà dans l’armée allemande vaincue, le changement incessant des autorités responsables, le chevauchement de leurs attributions. Du côté américain, le succès est cueilli sans avoir été recherché, mais rapidement exploité, puisque, au bout de quelques jours, six divisions complètes auront franchi le Rhin à la fois sur le pont conquis et sur deux ponts Treadway rapidement établis en amont et en aval de celui-ci. Ébranlé cependant par les tentatives de destruction faites par les Allemands et par l’utilisation intense qui en a été faite par les Américains, le pont s’effondre dix jours après sa capture, pour un ensemble de raisons techniques qui n’ont jamais pu être totalement élucidées.
Mais les Allemands auront déjà, sur l’ordre du Führer, durement sanctionné les officiers tenus pour responsables ; cinq d’entre eux sont condamnés à mort, dont l’un par contumace et les quatre autres immédiatement exécutés. L’exemple, tout injuste qu’il fût, a porté ses fruits : aucun autre ouvrage d’art ne tombera plus intact entre les mains des Alliés. Ainsi se trouve posé le grave problème de la responsabilité et de la sanction en temps de grave crise, au cours d’une guerre sans merci. Les auteurs ont raison de donner, à ce sujet et minutieusement, tous les éléments d’appréciation aux lecteurs. Certes après la guerre, les tribunaux réhabiliteront la mémoire des officiers condamnés ; mais ils se refuseront à condamner leurs juges, estimant que ceux-ci ont agi dans une ambiance telle qu’ils étaient convaincus, sur le moment, d’agir suivant la justice et les nécessités tragiques de l’heure.
C’est donc sur un problème moral que se noue cette affaire du pont de Remagen, dont l’aspect strictement militaire pourrait tenir en quelques pages puisqu’il résulte, non d’une manœuvre volontairement élaborée et objectivement conduite, mais d’une « fortune de combat » dont les Américains eurent la chance de pouvoir profiter. ♦