The Politics of Weapon Innovation. The Thor-Jupiter Controversy
La querelle qui opposa l’armée de terre et l’armée de l’air américaines à propos du missile balistique de portée moyenne, la première prônant le Jupiter, la seconde le Thor, remonte à l’histoire ancienne des missiles. Elle est pourtant un exemple particulièrement frappant, estime l’auteur, des conditions nouvelles dans lesquelles se réalise un armement moderne et démontre que le développement des armements nouveaux est une affaire politique plus encore que militaire.
On pourrait croire que l’instance suprême décide au vu de rapports clairs et précis indiquant les caractéristiques techniques et militaires des armements nouvellement fabriqués en prototypes, et juge dans le secret absolu de son cabinet de leurs avantages et de leurs inconvénients. Cette sagesse olympienne ne correspond plus aux faits. En réalité, l’extraordinaire croissance du progrès technique permet tout d’abord de construire des armes fort nombreuses et dont les performances sont comparables ; c’est une cause première de la difficulté du choix. Mais les différentes armées constituent de véritables lobbies, des groupes de pression, qui ont des antennes dans les assemblées parlementaires comme dans les services de l’Administration ; elles peuvent ainsi user de leurs arguments par des voies directes et indirectes. Les armes modernes ne peuvent être employées comme un vulgaire fusil ; elles exigent un déploiement sur la surface du globe, donc des démarches diplomatiques près des pays qui pourraient les recevoir ou les abriter. Mais ceux-ci admettent difficilement de recevoir des armes sans avoir l’autorisation de s’en servir directement. Si l’on ajoute à ces considérations celle des intérêts économiques mis en jeu suivant que telle arme est fabriquée plutôt que telle autre, on comprend aisément que l’affaire dépasse largement le seul cadre de la technique militaire. Elle devient obligatoirement politique au sens le plus élevé du mot – ce qui montre à quel point la politique et la stratégie sont intimement liées – puisqu’elle implique simultanément la politique intérieure et la politique extérieure.
L’histoire de la controverse Thor-Jupiter n’est ici qu’un exemple à l’appui d’une thèse. L’élément historique est secondaire, malgré le titre de l’ouvrage. Ce qui importe, c’est la démonstration de la nécessité d’une politique des armements intégrée dans la politique générale du pays. Une telle généralisation ne saurait étonner dans un livre qui fait partie de la longue série d’études déjà publiées par l’Institut d’études sur la paix et la guerre de l’Université de Columbia. ♦