La guerre et l’ordinateur
Préfacé par le général Gambiez, ce livre, après un historique des « kriegspiels » dans tous les pays du monde – qui ne signale que par une simple mention la méthode française des « cas concrets » – étudie les « jeux de guerre » actuellement en usage, à la fois sous leur forme théorique et technique et sous leurs aspects pratiques. L’introduction des statistiques et l’utilisation des machines à calculer de plus en plus perfectionnées ont permis de quitter ce que l’auteur appelle le stade de l’amateurisme pour entrer dans celui de l’étude scientifique des phénomènes. Évolution normale qui n’est pas propre aux questions militaires, mais dans laquelle les besoins pressants de la guerre ont fait faire des progrès rapides.
Il était naturel que les inventeurs de ces nouvelles méthodes aient cru pouvoir y découvrir le moyen de prédire, à partir de données contrôlées et enregistrées, la suite des événements. Ils ont dû cependant revenir de leurs illusions ou renoncer à leurs espoirs ; il n’existe pas de procédé capable de décrire l’avenir, parce qu’il est impossible d’intégrer toutes les données et, notamment, de « prévoir l’imprévisible », c’est-à-dire les profondes réactions des hommes. Ce serait le moment de rappeler la célèbre phrase de von Kluck après la bataille de la Marne : « On ne nous avait jamais appris dans nos Écoles de guerre que des hommes battus depuis des semaines pouvaient brusquement se retourner et revenir victorieusement au combat ».
Les méthodes les plus modernes ont cependant un intérêt certain ; elles permettent l’étude de situations complexes, font « naître des idées », familiarisent avec les incidents possibles et en multiplient la gamme, tout en restant basées sur des éléments solidement établis. Elles ont aussi leurs dangers, notamment celui de faire imaginer des hypothèses que le bon sens juge absurdes et dont certaines, pourtant, ne manquent pas de se réaliser au moins partiellement. Tant et si bien qu’elles laissent les esprits dans l’inconnu, et risquent même, écrit l’auteur, de provoquer des névroses.
Élevant le débat, Andrew Wilson se demande s’il ne serait pas plus opportun d’appliquer cette somme d’intelligence, d’ingéniosité, de science technique que nécessitent les jeux de guerre à rechercher, non pas la meilleure façon de conduire les pourparlers diplomatiques et les hostilités, mais la réduction des causes de conflit. C’est une réflexion normale, mais les deux buts ne s’excluent pas ; ils se situent à des niveaux différents.
Après la lecture de ce livre, on reste plus convaincu que l’homme ne peut abandonner sa recherche à la machine, si élaborée qu’elle soit ; il doit l’utiliser en la dominant, et corriger, par son intelligence et son intuition, des résultats qui ne peuvent être qu’imparfaits. Mais on demeure également certain que la machine doit être employée, non seulement pour accélérer des calculs, mais aussi pour conduire, dans certains cas, à des conclusions formelles, différentes de celles auxquelles on aboutirait par le simple raisonnement, ainsi que l’ont montré de nombreux exemples de réussite dans la recherche opérationnelle.
On ne saurait trop conseiller, particulièrement aux jeunes officiers, de lire cet ouvrage qui ouvre des horizons et, en même temps, indique des limites.