Le remplacement militaire en France. Quelques aspects politiques, économiques et sociaux du recrutement au XIXe siècle
Le remplacement remonte à plusieurs siècles en France. Il n’a cependant présenté un intérêt social qu’au XIXe siècle, depuis les lois de 1818 et de 1832 qui abolissaient la conscription jusqu’à la loi de 1872 qui créait l’armée nationale par le service obligatoire et universel. Les formes s’en sont conservées pendant toute cette période, nuancées toutefois de l’exonération que les dispositions législatives du Second Empire avaient rendue possible. Les autorités militaires y ont été hostiles pendant longtemps : les remplaçants étaient en général de pauvres hères et de piètres soldats, une partie notable des appelés – de l’ordre du quart du contingent en moyenne – échappait au service militaire et la formation militaire de la masse des effectifs mobilisables n’était pas assurée. Les classes aisées, dans les villes et dans les campagnes, trouvaient cependant leur avantage dans ce système qui, moyennant finances, exemptait les « mauvais numéros » d’un service long, fastidieux et pénible. On sait quel en fut le résultat en 1870 et à quel point le pays eut à souffrir de cette institution.
L’auteur fait, de son application, une étude bien documentée. Il la présente comme un effet de la volonté des riches de ne pas se soumettre aux obligations militaires. Cette explication peut paraître sommaire. En réalité, les effectifs fournis par chaque classe étaient trop nombreux ; il fallait donc n’en retenir qu’une partie, ce qui donnait lieu au tirage au sort qui, malgré son apparent arbitraire, n’était sans doute pas la plus mauvaise solution. Le remplacement se présentait comme un corollaire du tirage au sort et pouvait parfaitement être justifié dans certains cas particuliers. Mais son application conduisait à des abus, à un véritable trafic d’hommes dont profitaient des entreprises commerciales spécialisées sur lesquelles le contrôle de l’État s’exerçait mal ou pas du tout. La paix n’incitait pas à entretenir une armée importante ni à consacrer à la défense des crédits que réclamait par ailleurs l’immense mutation de l’industrialisation du pays ; il était donc financièrement impossible de créer des réserves instruites ; l’esprit de l’époque s’y serait d’ailleurs montré rebelle. L’apparition des armes nouvelles conduisait aussi à demander aux hommes, généralement peu instruits, voire illettrés, un service de longue durée, seul capable de les former ; le pays ne pouvait, à cette époque, offrir à l’armée les spécialistes qu’il possède maintenant dans son économie. Enfin, personne en France n’avait tiré de conclusions sérieuses des campagnes napoléoniennes et de la forme nouvelle de la guerre qu’elles annonçaient, non plus que des modifications économiques et sociales entraînées par la révolution industrielle. Dans ces conditions, le remplacement correspondait à une situation dépassée ; il offrait une solution mal adaptée aux nécessités nationales. Mais il n’était qu’un effet, parmi d’autres, d’un manque d’adaptation des conceptions de défense aux conditions des temps nouveaux.
La lecture de ce livre est assez austère. L’insuffisance des statistiques d’ensemble n’a pas permis à l’auteur d’approfondir, comme on aurait pu le souhaiter, l’étude des aspects sociaux du remplacement. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage fournit une documentation intéressante sur un sujet historique qui n’est pas sans fournir matière à réflexions utiles sur le problème militaire de notre temps.