Morocco’s Saharan Frontiers
Résultat, nous apprend l’avant-propos, de huit années de recherches entreprises, sous la direction du Professeur E. Trout, de l’université Harvard et sous les auspices du Comité d’études africaines de l’université Yale, par Frank E. Trout et deux autres collaborateurs, cet important ouvrage constitue, à notre connaissance, l’étude la plus fouillée sur une question à laquelle nous avons eu l’occasion de consacrer, ici même, plusieurs articles au moment de l’indépendance marocaine, et qui demeure d’actualité.
On ne sache pas, en effet, qu’ait été définitivement réglé le conflit frontalier algéro-marocain porté devant l’Organisation de l’unité africaine en 1963. D’autre part, si en exécution d’un traité signé à Fès, le 4 janvier 1969, l’Espagne vient de rétrocéder au Maroc l’enclave d’Ifni, aucune suite pratique n’a encore été donnée aux successives résolutions de l’Organisation des Nations unies, la dernière datant de décembre 1968, concernant une éventuelle décolonisation du Sahara espagnol et l’organisation d’un référendum. Sans doute cette affaire aura-t-elle été évoquée au cours de la visite que le roi Hassan, de passage à Madrid, a rendue au général Franco dans les premiers jours de juillet dernier.
Le Professeur Trout et son groupe de travail se sont livrés à une minutieuse étude des différents textes diplomatiques en la matière : d’un côté, les traités franco-marocains relatifs aux confins algéro-marocains ; de l’autre, les traités par lesquels la France et l’Espagne ont délimité leurs possessions sahariennes et leurs futures sphères d’influence marocaine. Puis les différentes prises de position gouvernementales françaises, les arbitrages interministériels, les conférences nord-africaines qui ont déterminé les rayons d’action respectifs des gouvernements généraux d’Alger et de Dakar et de la Résidence générale de Rabat. En particulier les conséquences de la création en 1930 du commandement militaire des confins algéro-marocains, devenus algéro-mauritano-marocains après l’occupation de Tindouf en 1934.
Selon les auteurs, il résulte de leurs travaux – et ils l’indiquent dès les premières lignes de leur introduction – que les frontières sahariennes du Maroc ne sont ni reconnues par, ni acceptables pour le gouvernement chérifien ; que, dans leur majeure partie, ce ne sont que des frontières de facto qui lui ont été imposées sans qu’il ait été associé à leur élaboration, et que, sous le régime du protectorat, elles ont été soit méconnues, soit modifiées en fonction des problèmes complexes, d’ordre diplomatique, militaire, administratif, qui se posaient aux puissances coloniales. Dans le dernier chapitre, se référant à la déclaration d’indépendance Pineau-Bekkaï [le ministre français des Affaires étrangères Christian Pineau et le chef du premier gouvernement marocain Si Mbarek Bekkaï] de 1956, proclamant « l’intégrité du territoire marocain garantie par les traités internationaux », ils en soulignent le caractère, à leur avis peu réaliste, faute de savoir, précisément, où se trouvaient, sur le terrain, les limites internationales du Maroc. D’une façon générale, la frontière dont ils suggèrent, in fine, l’éventuel tracé, laisserait à l’Algérie, la région de Colomb-Béchar et des oasis du Touat, Tidikelt, Gourara, et au Maroc la région de Tindouf, et l’actuelle Seguiet el-Hamra espagnole, considérée comme ayant été arbitrairement et indûment rattachée au Rio de Oro par les négociateurs de 1902-1904.
À ce propos, il nous semble que des conclusions quelque peu trop catégoriques aient été tirées de ce que M. Trout appelle « le traité non ratifié de 1902 », alors qu’il ne s’est agi que de conversations exploratoires, assorties, naturellement, d’avant-projets de convention, qui n’ont pas été poussées jusqu’à leur terme. Même observation en ce qui concerne la définition géographique du Maroc (toute la partie de l’Afrique du Nord comprise entre l’Algérie, l’AOF [Afrique occidentale française] et la colonie espagnole du Rio de Oro) donnée par les lettres interprétatives de la convention franco-allemande de novembre 1911, et non dans le corps de celle-ci. Définition qui n’avait d’autre but que de laisser le Rio de Oro en dehors du cadre de la prochaine négociation avec l’Espagne. Au demeurant, la délimitation entre l’Algérie et l’AOF, résultant de la convention militaire de Niamey en 1909, ne pouvait avoir le caractère d’une frontière diplomatique, ni être opposable au Maroc.
C’est peut-être une légère erreur de date (le futur Maréchal Juin, à l’époque colonel et chef du cabinet militaire du Résident général Lucien Saint, a quitté le Maroc, en même temps que celui-ci, en 1933 et non en 1935) qui a amené M. Trout à s’exagérer les différences d’opinion entre « le particularisme de l’équipe Lyautey » (le général Noguès, le colonel Juin, le général Huré) d’une part, les idées du général Catroux et du colonel Charbonneau d’autre part, au sujet de l’opération sur Tindouf. En réalité, l’allégeance algérienne de Tindouf avait été décidée à Paris dès 1933, peut-être bien à tort, mais non sans quelques bonnes raisons, ne serait-ce que compte tenu du rayon d’action des compagnies sahariennes de la Saoura dans le sens est-ouest alors que la dissidence dans l’Anti-Atlas avait complètement bloqué la façade saharienne du Maroc et toutes possibilités de pénétration dans le sens nord-sud.
Mais ce ne sont là que certains points susceptibles de discussion, ou des observations d’importance toute secondaire, qui ne diminuent en rien l’intérêt de l’ouvrage et de son abondante documentation, et, pour tout dire, de son incontestable valeur historique.