Napoléon
Après un répertoire des chefs d’État européens tout au long du XIXe siècle, une longue étude de Jacques Godechot sert de présentation à des extraits divers concernant la vie de Napoléon : des jugements portés sur l’homme et sur son œuvre par Metternich (ministre des Affaires étrangères de l’Empire d’Autriche), Godoy (secrétaire d’État espagnol), Walter Scott (écrivain et historien écossais) et le pasteur américain Channing, et différents récits relatifs à l’incendie de Moscou et à la détention de Napoléon à Sainte-Hélène. L’ensemble pourrait paraître hétéroclite ; aucune préface n’explique la réunion de textes peu homogènes dont la lecture donnerait de Napoléon une impression très mitigée, s’il se trouvait des lecteurs qui ne connaissent pas le héros. Mais la conclusion la plus claire est exprimée par la composition même du livre ; il est difficile sinon impossible de juger Napoléon : toute opinion reste subjective.
Attachons-nous davantage au texte de Jacques Godechot, qui occupe le tiers du volume. Il est extrêmement précis dans les faits et la chronologie, comme le serait un « état signalétique et des services » ; puis il développe des commentaires sur chacun des aspects des actes de Napoléon, tour à tour envisagé comme chef de guerre, homme politique, législateur, économiste, « chef des Églises », maître de l’Université, animateur de la propagande et enfin auteur de sa propre légende. Le bilan des jugements fractionnés ainsi successivement portés a pour solde cette légende, qui, écrit l’auteur, est « tenace. Le Napoléon qui est aujourd’hui populaire, c’est le Napoléon de la légende, plutôt que celui de l’histoire ».
On souscrira volontiers à la plupart des jugements de l’auteur ; il est hors de doute que le Code civil a été le grand œuvre de Napoléon, qui a dominé les Églises, organisé militairement l’Université, échoué sans ses tentatives économiques. Mais on sera sans doute surpris que Jacques Godechot écrive que « Napoléon, grand génie militaire, certes, fut un génie incomplet. Il resta un homme du passé, remporta ses victoires grâce aux théories, aux moyens légués par la Révolution. Ni sur terre, ni sur mer, il ne chercha, en renouvelant ses armes et ses méthodes, à dérouter ses ennemis pour forcer, de nouveau, la victoire ». Le jugement est sévère et si contraire à la conception traditionnelle qu’il mérite d’être attentivement étudié. Nul doute que chacun ne tire, de mêmes faits, des conclusions différentes, voire opposées. Et la sagesse n’est-elle pas de conclure philosophiquement que l’homme, fût-il parmi les plus grands, reste imparfait ? ♦