Écrits militaires. T. I : Comment la Révolution s’est armée
On peut prédire, presque à coup sûr, que Trotsky sera pour nos successeurs l’un des principaux auteurs militaires de notre époque. Membre du Bureau politique du Parti communiste, président du Comité révolutionnaire de Guerre, c’est-à-dire du Haut État-Major soviétique, il eut à diriger les opérations qui, tout au début du régime, assurèrent le succès de celui-ci contre ses ennemis de l’intérieur. Son œuvre militaire est immense. Elle a pour caractéristique d’avoir été écrite en pleine action, au moment où s’organisait l’Armée rouge et où se livraient les combats. Ce n’est donc pas une œuvre rédigée à loisir, dans le silence d’un bureau ; tout au contraire, elle est faite d’études urgentes, de proclamations, de rapports fort nombreux, dont l’analyse demande une longue attention. Elle a un souffle particulièrement puissant, celui d’un créateur enthousiaste et lucide.
Trotsky insiste d’abord sur la nécessité de la violence et de l’action par les armes ; il ne croit guère à la persuasion, si elle ne s’accompagne d’évidentes démonstrations de force. Mais la violence n’est possible que si elle est le fait d’une armée véritable, d’une armée régulière, fortement disciplinée, dans laquelle les cadres sont convaincus que le succès dépend davantage de leur science que de leur courage, puissamment appuyée sur une logistique solide. Cette armée ne peut être cependant que celle d’une classe : « le prolétariat fait du pouvoir d’État et de son appareil militaire le monopole de sa propre classe ». Aussi est-elle étroitement inféodée à l’idéologie révolutionnaire, d’où elle tire à la fois sa raison d’être et sa puissance morale.
Elle doit être révolutionnaire, non seulement en Russie, mais encore vis-à-vis du monde. Car la Révolution ne pourra subsister et parvenir à ses objectifs que si elle s’étend à tous les pays. Aussi l’Armée est-elle inséparable de la politique : « si la guerre est la continuation de la politique, la politique, de son côté, est le reflet de l’Armée ». L’Armée doit donc être centralisée et ne pas s’éparpiller entre les mille formations d’une guérilla locale ; cette guérilla est « un bâtard légalisé ».
Ces rapides notations suffisent à montrer à quel point les idées sont nettes, tranchantes. Il était nécessaire qu’elles le fussent, dans l’extrême péril où se trouvait le pouvoir soviétique au moment où Trotsky les répandait inlassablement parmi les cadres de la nouvelle armée en formation. Mais il ne faut pas y voir seulement des opinions de propagande ou de circonstance. L’ensemble de ces idées forme bien ce que nous appelons « un corps de doctrine ». Elles assortissent à la haute pensée militaire, de façon fort authentique.
Cette pensée militaire, Trotsky la justifie en une phrase qui a de profondes répercussions : « Que veut dire militarisme ? Cela signifie inculquer le sens des responsabilités, et donc créer un type supérieur de culture humaine ». La culture par l’armée, voilà une ambition que beaucoup penseront utopique, sinon aberrante ou folle. En URSS, elle a cependant conduit aux victoires de 1945 et, pour une large part, aux conquêtes scientifiques les plus récentes.
Trotsky a été éliminé par son propre parti. Ses écrits demeurent, au-delà de ses actes grâce auxquels l’URSS a pu se constituer pendant les années difficiles. Ils forment une mine inépuisable d’enseignements et de réflexions que tous ceux qui s’intéressent aux questions de défense peuvent largement exploiter. Cette traduction française d’une œuvre qui, jusqu’à présent, n’était que très partiellement connue, est un instrument de travail de premier choix. ♦