La Russie dans la vie intellectuelle française. 1839-1856
Ce livre épais, à la typographie serrée, à l’aspect assez peu engageant, réserve une heureuse surprise au lecteur. Le sujet en est l’étude de ce que les Français du milieu du siècle dernier savaient de la Russie et de l’idée qu’ils se faisaient de ce vaste pays où Napoléon Ier avait vu décliner son étoile et dans lequel Napoléon III trouva ses lauriers. Il est certain que l’opinion se forme à partir de données souvent inattendues : l’affabulation et la légende s’élaborent sur des impressions rapportées ; une image de l’étranger se dessine dans l’esprit, s’impose comme une vérité qui a souvent la vie longue.
L’auteur passe d’abord une brillante revue des Russes en séjour en France, puis des Français en voyage en Russie. C’est l’occasion d’évoquer des personnages de haute lignée, des femmes du monde, des excentriques, des observateurs attentifs. Puis il développe longuement l’influence d’un voyageur célèbre dont l’ouvrage eut un grand retentissement, le Marquis de Custine. Il peut alors décrire ce qu’étaient la terre, la société, la littérature, la politique russes pour les Français de l’époque.
Comme il est normal, ils la voyaient surtout à travers leurs propres préoccupations et d’une façon subjective, surtout dans le domaine politique. Les malheurs de la Pologne conduisaient à représenter la Russie comme un pays agressif, auquel ne pouvaient aller les sympathies des républicains. Mais l’avenir de la Russie était déjà pressenti, et deux tendances opposées se faisaient jour : celle qui réclamait une alliance avec une future très grande puissance, et celle qui en dénonçait la « menace ».
La transposition serait facile à faire des années 1850 à nos jours. Mais l’intérêt de cet ouvrage résulte autant de son contenu que de sa méthode. Celle-ci permet en effet au lecteur de faire un retour sur lui-même, de se demander comment il voit actuellement les pays étrangers, quelles influences s’exercent inconsciemment sur son jugement et quels sont les fondements véritables de ses opinions.
Ajoutons que ce livre est d’une lecture fort agréable. Il est de plus enrichi d’une abondante bibliothèque et de nombreuses notes.