Kennedy
On sait que l’auteur fut un des familiers du président Kennedy, près duquel il occupa, pendant onze ans, un poste de confiance, qui lui permit d’assister en témoin direct à tous les grands événements de la politique américaine, de 1951 à 1962. C’est donc un récit de toute première main que nous fait Théodore C. Sorensen de cette période qui fut particulièrement agitée.
Il ne cache nullement qu’il n’est pas un témoin impartial. Il était trop attaché au président Kennedy pour ne pas le présenter sous un jour particulièrement sympathique, et cela est tout à fait normal. Le lecteur se sent pris par cette ferveur envers un homme dont les hautes qualités s’imposaient avec évidence, et dont les erreurs mêmes ont un aspect profondément humain.
Ce livre épais, peut-être trop abondant, montre le président Kennedy sous tous ses aspects, dans sa vie publique et dans ses attitudes les plus familières. Ce pourrait être un recueil d’anecdotes, si le ton de l’ouvrage ne se maintenait à un niveau digne de son sujet. Ce mélange de familiarité, de noblesse et de dignité n’est pas un des moindres charmes de cette lecture.
L’auteur était chargé principalement de suivre les questions de politique intérieure. Aussi consacre-t-il de plus longs développements à celles-ci qu’aux affaires extérieures, qui auraient intéressé davantage le lecteur non-américain. Cependant ce qu’il dit reste suffisamment substantiel pour que les réactions de l’homme sur les épaules duquel pesaient les plus lourdes responsabilités du monde, soient aisément perceptibles. Trois événements dominent cette période : la lamentable affaire de la Baie des Cochons, en avril 1961, le Blocus de Berlin et l’alerte si chaude de l’installation des missiles soviétiques à Cuba, en 1962. Dans la première, Kennedy fut atterré de s’être si facilement, si ingénument laissé induire en erreur par ses services ; l’échec des révoltés cubains contre les troupes de Fidel Castro fut de toute évidence, un échec américain, et le président des États-Unis le ressentit profondément en raison du poste qu’il occupait et de ses propres sentiments d’homme généreux, se sachant responsable de la mort et de la capture de plus d’un millier de patriotes qui avaient cru en l’aide de son pays. L’influence de ce remords sur tout le comportement du président Kennedy, dans les fonctions de sa charge, apparaît nettement dans le livre de Théodore C. Sorensen, parce que, précisément, celui-ci dépeint au jour le jour, et parfois heure par heure, les réactions les plus intimes de son chef. L’affaire de Berlin et celle de Cuba sont maintenant assez connues pour que Sorensen n’apporte pas à leur sujet de véritables révélations ; la description qu’il donne des pensées, des réflexions, des décisions de Kennedy reste cependant très vivante et très révélatrice, à la fois de l’homme et du fonctionnement de l’énorme machine gouvernementale des États-Unis.
Un livre que l’on lira certainement avec intérêt et sympathie, et qui apporte à la grande histoire la dose de sensibilité sans laquelle elle ne serait qu’une thèse sans âme.