Carnets secrets de la Grande Guerre
Parmi les grands chefs qui s’illustrèrent au cours de la Première Guerre mondiale, Fayolle est certainement l’un des moins connus. Général de brigade du cadre de réserve au moment où éclata la guerre, il gravit rapidement les échelons du commandement et se vit confier des groupes d’armées, dont celui qui défendit les approches de Paris, au moment de la grande offensive allemande de 1918. Le bâton de Maréchal vint très tard récompenser un de ceux qui furent les artisans de la victoire.
Ces carnets n’apporteront pas de grands éclaircissements sur les opérations et les décisions capitales du haut commandement. Ils n’ont pas été écrits dans ce but. Ils sont une suite de notations « aide-mémoire », mais, précisément pour cette raison, révèlent sans fard l’état d’esprit de leur auteur.
Cet état d’esprit est souvent critique, acerbe même, et si l’histoire ne devait conserver de Foch, Pétain et autres grands chefs que le portrait qui se dégage des annotations de Fayolle, leur souvenir serait bien différent de l’image qui en est restée. Ce catholique fervent, qui invoque Dieu et plus encore la Vierge à chaque page ou presque, n’avait guère de charité, et poursuivait d’une hostilité sans nuance certains de ses collègues et subordonnés, dont Mangin, sa bête noire, auquel il reproche de « faire la guerre pour lui », alors que tel autre « fait la guerre pour la France ». Ces outrances font mieux comprendre un aspect du commandement – qui n’est pas le plus beau – : les inévitables rivalités provoquées par les événements dans lesquels des personnalités se trouvent directement et indirectement impliquées.
C’est donc sur le plan psychologique que se porte l’intérêt du lecteur, auquel la tâche est facilitée par les nombreuses annotations de Henry Contamine qui forment en quelque sorte corps avec le texte auquel elles apportent, à chaque page, les commentaires explicatifs et les mises au point nécessaires.
Mais on retiendra aussi les jugements, dépourvus d’aménité, sur les opérations de la guerre de tranchées, lorsque le commandement sacrifiait des hommes dans des actions de détail qui ne valaient certainement pas les pertes qu’elles provoquaient. Très près des hommes et de leurs souffrances lorsqu’il commandait une brigade, une division ou un corps d’armée, Fayolle s’en éloigne lorsqu’il atteint les plus hauts échelons. Il trouve alors une justification de ces opérations de détail, si coûteuses, qu’il est amené lui-même à prescrire. Dans l’ensemble cependant, il reste soucieux de la vie des soldats et de leurs souffrances.
Témoignage d’un grand chef ramené dans ses carnets personnels à la dimension d’un combattant semblable à tous ceux qui portaient alors l’uniforme dans la zone des opérations – ce livre présente une originalité certaine. Il était bon qu’il fût connu. ♦