La société soviétique (1917-1964)
D’un pays sous-développé, les communistes ont fait, en moins de cinquante ans, une grande puissance mondiale. Cette transformation est due à l’origine à une poignée de militants, au sein d’une société qui se décomposait et dont aucune classe ne pouvait prendre la direction. La Révolution d’Octobre 1917 n’a pas été faite par les ouvriers et les paysans, incapables d’action concertée ; la bourgeoisie peu charpentée, non plus que la noblesse ou le clergé n’ont pu s’opposer à l’action de quelques dirigeants révolutionnaires qui ont tenté d’appliquer trop vite et trop directement leurs théories à un milieu encore trop arriéré. Les pertes immenses dues à la Première Guerre mondiale et aux troubles qui ont marqué la période révolutionnaire se sont fait sentir autant dans le domaine démographique que dans l’économie.
Mais peu à peu, sous une impulsion souvent brutale, en raison de la jeunesse de la population, l’URSS a pu d’abord se constituer et se donner ensuite les premiers fondements de sa puissance. L’ère des plans a enthousiasmé les Russes, sans d’ailleurs entraîner pour l’individu une véritable passion et un travail plus acharné. La Seconde Guerre mondiale a surpris les Russes, militairement et psychologiquement ; ils ont été fort étonnés de découvrir que l’armée allemande était beaucoup mieux équipée que la leur, et la victoire allemande aurait été rapidement acquise si la logistique de l’attaque avait été mieux prévue, si l’hiver n’avait pas placé les unités allemandes dans des conditions difficiles, et si les crimes commis par les Nazis n’avaient réveillé le sentiment national. Staline parut alors être le sauveur. Le culte de la personnalité et la toute-puissance de l’appareil étatique et communiste purent se manifester pleinement dans les dures années de reconstruction qui suivirent immédiatement la guerre.
Un peuple de plus de 200 millions d’habitants a subi des souffrances et des privations extraordinaires pour s’élever à sa condition présente. Dans cette société sans classes, il s’est formé tout au moins des catégories, parmi lesquelles certaines sont privilégiées. L’URSS connaît une évolution comparable à celle des pays avancés, tout en conservant ses caractères particuliers. Le désir de connaître l’Occident grandit, cependant que les problèmes les plus immédiats de la vie sont progressivement résolus. Une jeunesse nombreuse n’a plus, pour les dirigeants âgés et pour leur doctrine, la même crainte et la même apparente vénération qu’autrefois. La période de gestation semble devoir prendre fin.
S’il en est bien ainsi, l’évolution du peuple russe dans les prochaines années apportera au monde un élément nouveau.
C’est ainsi que peut être brièvement résumé l’ouvrage de Pierre Sorlin, qui retrace l’histoire du peuple russe depuis 1917, sans parler de ses dirigeants, sans entrer dans la description des luttes intestines entre eux, sans traiter de la politique extérieure. Travail d’historien et de sociologue, ce livre en tire un caractère original. ♦