Munich ou la drôle de paix – 26 septembre 1938 / Le dernier jour du vieux monde
Nous analysons en même temps ces deux ouvrages, parus dans la collection déjà célèbre des Éditions Robert Laffont : « Ce jour-là ». Bien que différents dans leur conception et leurs développements, ils se font suite, et recouvrent la période qui précéda la Seconde Guerre mondiale, si riche en événements dramatiques et si lourds de conséquences tragiques.
Henri Noguères a présenté son œuvre suivant un plan chronologique, exposant les causes de l’affaire des Sudètes, à partir de l’Anschluss, s’étendant sur les journées qui précèdent immédiatement Munich ainsi que sur la célèbre conférence du 29 septembre 1938, puis relatant rapidement les suites jusqu’à l’occupation complète de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne hitlérienne.
Adrian Ball a procédé autrement. Se bornant au récit de la journée du 3 septembre 1939, mené heure par heure dans les principales capitales européennes, c’est par des rappels des événements antérieurs, opportunément placés pour expliquer au lecteur les motifs et le comportement des dirigeants et des peuples, qu’il étoffe l’exposé des péripéties de cette journée.
Les deux méthodes peuvent trouver leurs défenseurs. La première est plus analytique, plus précise aussi ; la seconde, plus synthétique, peut-être plus commode pour le lecteur, qui, n’ayant pas été contemporain des événements, aurait besoin qu’on les lui commente en même temps qu’on les lui raconte. Nous croyons cependant que la première est préférable, plus conforme à notre désir de clarté et de logique dans l’exposé. Il est vrai que l’un des auteurs est français, l’autre anglais, et que chacun d’eux a écrit pour un public différent.
Si aucun de ces livres n’apporte de révélations, ils n’en contiennent pas moins des indications puisées à des sources nouvellement ouvertes à l’historien. En ce sens, ils contribuent à l’établissement de la vérité historique. Il serait illusoire, évidemment, de penser qu’ils donnent de ces deux journées capitales de l’histoire de notre temps une version qui sera entièrement ratifiée par les historiens futurs. Peut-être plus tard sera-t-on moins sévère à l’égard des « Munichois » et de leur politique d’atermoiements et de capitulation. Si la suite immédiate des faits leur a donné tort, il n’est pas impossible que les perspectives plus larges et plus objectives de l’avenir leur apporte, non une réhabilitation, mais des circonstances atténuantes. Et comme c’est un jeu assez vain que de refaire l’histoire, nul ne peut assurer que la guerre se serait déroulée de telle ou telle façon si elle avait éclaté en septembre 1938 et non un an plus tard.
Aussi l’intérêt réel de ces deux ouvrages réside-t-il dans le portrait des hommes d’État, des ambassadeurs, des acteurs de tous échelons qui jouèrent leur rôle dans ce drame. Ces portraits sont faits, par Henri Noguères et Adrian Ball, avec une minutie particulière. Les témoignages directs ne manquent pas ; ils permettent de dessiner des silhouettes très vivantes, correspondant en gros à l’image sommaire que garde le souvenir populaire, mais y introduisant en superposition de nombreuses et souvent très fines nuances.
Les deux récits permettent aussi de conclure que la guerre n’est jamais fatale. Si la volonté d’Hitler domine la période, on constate que le Führer eut lui aussi ses moments d’indécision et d’hésitation. Il s’en serait fallu de peu, d’une phrase mieux comprise, d’une insistance plus énergique, d’une menace plus précise, peut-être même d’une simple attitude pour modifier le cours des événements ; d’une entente plus intime également entre les partisans de la paix, mais d’une paix ne comportant pas d’abandons humiliants.
Enfin, le lecteur notera certainement comme nous à quel point, au moment où quelques hommes d’État se réunissent pour décider du sort du monde, la pression des opinions publiques compte peu. En dehors de quelques groupes de fanatiques peu nombreux, les populations ne désiraient pas la guerre ; même là où les hostilités ont été accueillies avec un semblant d’enthousiasme, il s’agissait d’un phénomène artificiel, localisé, momentané ; partout ailleurs, ce ne fut qu’une résignation.
On peut alors, à partir des réflexions qu’inspirent ces deux récits, se demander ce que valent les théories marxistes sur le déterminisme historique, et, dans un autre domaine, les explications sur les causes des guerres attribuées à un état de tension qui se développant, ne peut plus se dénouer que par une sorte de décharge violente, qui est la guerre. Tout cela paraît bien théorique, bien abstrait, à côté des déroulements concrets des faits.
Les auteurs ne faisaient pas de philosophie. Ils cherchaient, comme ils le disent eux-mêmes, à faire, dans toute la mesure où cela est possible un quart de siècle après les événements, de l’histoire et seulement de l’histoire. Mais ils donnent ainsi des matériaux pour approvisionner les théories sur la guerre et la façon dont elles se déclenchent, théories qu’il convient de débarrasser d’idées a priori et de systèmes trop intellectuellement satisfaisants.
Quant à nous, nous conclurons que ce sont davantage les hommes, dans leur action individuelle, qui font l’histoire, que les masses dans leur comportement collectif. ♦