L’avènement de l’Afrique Noire du XIXe siècle à nos jours
« L’avènement de l’Afrique Noire, c’est la lente évolution qui a conduit les Noirs à participer activement à la vie internationale. » C’est ainsi qu’à la première ligne de son ouvrage, l’auteur définit à la fois le titre et l’objet de son étude. Celle-ci porte sur un passé relativement récent, dans lequel il faut chercher les origines de l’Afrique telle qu’elle nous apparaît actuellement, toute origine plus lointaine restant aléatoire, faute de documents écrits, de tradition orale suffisamment explicite et de monuments durables.
L’Afrique a été découverte par la périphérie ; elle-même n’a rien découvert. Elle a servi de réservoir à la main-d’œuvre servile qui s’exportait dans le bassin méditerranéen, en Orient, dans les Amérique, grâce à l’organisation mise sur pied à cet effet par les Arabes et les Européens, mais grâce aussi aux tribus de la côte africaine, qui razziaient les hommes dans l’intérieur du continent pour alimenter le marché. Contre ce trafic, bien des protestations se sont élevées ; elles se sont fait entendre lorsque l’Afrique a pu exporter autre chose que des hommes, et lorsque les conditions économiques ont évolué suffisamment pour que l’emploi d’une main-d’œuvre servile ne soit plus nécessaire. D’abord licite, puis clandestin et poursuivi en haute mer par les escadres des puissances européennes, le trafic des esclaves a cessé complètement dans la deuxième moitié du XIXe siècle (sauf, mais à une échelle réduite, vers l’Orient). C’est alors que les puissances colonisatrices ont organisé l’Afrique en y pénétrant, en la découpant politiquement, et en exploitant ses ressources.
La période coloniale apportait aux Africains – et plus exactement aux Noirs en général – des idées nouvelles. Celles-ci pénétrèrent lentement les élites intellectuelles, formées d’ailleurs aux disciplines occidentales, et n’atteignirent guère les masses. L’exploitation des richesses africaines a été généralement décevante et coûteuse pour les colonisateurs. « La grande œuvre de l’Europe au cours de cette période, écrit Henri Brunsehwig, celle consciemment poursuivie par les fonctionnaires paternalistes, qui ont été, autant ou plus que les missionnaires, les “civilisateurs” de l’Afrique Noire, a été de multiplier les rapports entre l’Afrique et le reste du monde ». Vers 1930, apparurent les élites occidentalisées, qui s’attaquèrent aux chefs coutumiers, que soutenait l’administration européenne, laquelle « ne cherchait pas tant à prolonger la domination métropolitaine qu’à éviter les traumatismes consécutifs à une évolution trop rapide ».
C’est aux Antilles que naquirent les premières théories de la « négritude » (en ce qui concerne les auteurs d’expression française, Henri Brunsehwig donne une importance particulière à René Maran – administrateur colonial d’ailleurs – au Haïtien Jean Price Mars, et plus encore à Aimé Césaire et à son poème Cahiers d’un retour au pays natal, datant de 1939). Puis la scène se déplaça vers l’Afrique. Les intellectuels africains, soutenus par une bonne partie des intellectuels métropolitains, cherchèrent d’abord un nouvel humanisme, et ce que les Noirs pouvaient y apporter. « Il faudra longtemps attendre, jusqu’au lendemain du Congrès de Paris, en 1956, pour que ces intellectuels subordonnent l’accomplissement de leur mission culturelle à l’indépendance politique de leurs territoires. » Les Africains se sentaient « frustrés de leur histoire », car, écrivit alors le groupe de Présence Africaine : « Toute culture a besoin d’ancêtres pour assurer la légitimité de ses actes et de ses pensées ». De là une attitude double : une négation de la valeur historique de la civilisation européenne, une recherche des valeurs historiques africaines. Le Noir fut décrit par les intellectuels comme une victime innocente des discussions, des rivalités et des guerres entre Blancs. Il sembla même possible à certains de trouver, dans une civilisation africaine authentique et renouvelée, le dénominateur commun d’une humanité regroupée.
C’est alors qu’intervinrent les bouleversements politiques que l’on sait, et qui se firent pacifiquement, sauf au Congo belge et dans certains territoires britanniques de l’Est africain.
Ce livre débouche donc sur l’actualité immédiate. II développe une thèse séduisante sur l’action et l’évolution des intellectuels noirs. Peut-être les raisons pour lesquelles ceux-ci passèrent si vite de la culture à la politique ne sont-elles pas suffisamment explicitées ; peut-être la différence de comportement entre les « vagues » successives d’intellectuels n’est-elle pas suffisamment marquée. Il n’en reste pas moins qu’Henri Brunschwig appelle l’attention sur une des causes essentielles des modifications politiques profondes de notre temps, sur l’action d’un petit groupe d’hommes, profondément marqués par les civilisations occidentales et en exploitant les principes. Ce qui permet d’espérer, la crise de décolonisation passée, une entente solide et durable entre Blancs et Noirs. Le livre s’achève sur cette phrase : « Et l’on vérifiera une fois de plus que les déracinements et les métissages favorisent l’épanouissement de toute civilisation ». ♦