Stratégie de la paix
Ce livre deviendra-t-il une bible du renouveau américain, ou restera-t-il ce qu’il était au moment de sa publication : une œuvre de circonstance dans la bataille électorale contre les Républicains ? L’avenir le dira. Ce qui importe, aujourd’hui, c’est de savoir si le programme du candidat à la Présidence des États-Unis sera bien celui du Président, si de la théorie, il passera à l’action.
« Nous, Américains, nous sommes prêts pour qu’on nous convie à la grandeur. » Voilà une des dernières phrases de ce livre dense, formé d’une suite d’études remontant à ces dernières années, et reliées par un commentaire destiné à assurer l’unité de la thèse.
La thèse, c’est qu’il existe des chances de paix, nombreuses et solides, mais que leur exploitation dépend avant tout de la façon dont les citoyens américains eux-mêmes comprendront qu’il n’y a plus de frontière entre les questions extérieures et les questions intérieures, qu’il leur faut amplifier à l’échelle mondiale les principes de liberté sur lesquels s’est basée la démocratie américaine, mais qu’il leur faut aussi faire l’effort indispensable pour ne pas se laisser distancer par les Russes dans la conquête de la science.
Les idées traditionnelles de liberté, d’égalité devant la loi et devant les chances de la vie, sont autant d’armes qu’il faut utiliser dans la lutte contre le totalitarisme de Moscou. Si ces idées sont rénovées, intensément vécues par un peuple aussi puissant, aussi fort et aussi riche que celui des États-Unis, la victoire de l’Occident sera assurée. Sinon, sa défaite sera consommée.
Les chances de paix reposent sur les plages d’intérêt commun des États-Unis et de l’Union soviétique, qui ne peuvent pas ne pas désirer la suppression de la course aux armements et du risque de la guerre nucléaire, et ne pas souhaiter mettre en commun leurs recherches scientifiques pour le bien de l’humanité tout entière. Mais les États-Unis ont laissé l’URSS prendre une large avance dans le domaine balistique, de même que dans l’aide économique apportée aux pays sous-développés. Laisser s’accroître ce décalage, c’est vouloir multiplier les occasions de guerre, c’est vouloir côtoyer de plus en plus près le gouffre au fond duquel le monde serait entraîné par le cataclysme d’une guerre moderne.
Il existe, entre l’Est et l’Ouest, de nombreuses zones de conflits. Au Vietnam, l’aide américaine au régime du président Diem a montré que le nationalisme pouvait résister au communisme. En Algérie, il convient que la France accorde l’indépendance au peuple algérien, dans son propre intérêt et dans celui de l’Occident. En Pologne et en Europe orientale, là où, dans les pays satellites, se trouve le talon d’Achille de la puissance communiste, il faut aider les peuples captifs à se délivrer du joug de Moscou. L’Otan traverse une crise grave ; il est indispensable d’en reprendre les bases et d’adapter la nouvelle structure aux conditions du monde actuel. À Quemoy et à Matsu, l’Occident risque de s’engager, pour complaire au gouvernement chinois de Formose, dans de mauvaises querelles. Au Moyen-Orient, la doctrine Eisenhower a été un échec ; et il faut pourtant, tout en soutenant Israël, aider les pays musulmans à s’organiser. En Afrique noire, c’est d’une aide économique dont les peuples ont besoin pour créer d’abord une véritable agriculture. En Amérique latine, « Fidel Castro est un des héritiers de Bolivar », et il importe de ne pas recommencer dans les autres pays les erreurs qui ont été commises par le gouvernement américain vis-à-vis de Cuba ; il faut aider les peuples de l’Amérique latine, mais plus encore, choisir la meilleure manière de les aider, sans les humilier. Entre l’Inde et la Chine, la lutte est ouverte pour le leadership de l’Orient ; les États-Unis doivent aider largement l’Inde, pour qu’elle se crée des structures modernes, et non pour surmonter telle ou telle crise passagère.
Repenser les problèmes, modifier le mode d’intervention des États-Unis dans les différentes parties du monde, ne pas pratiquer un marchandage en donnant une aide aux pays qui se déclarent contre le communisme et pas aux autres, comprendre que le neutralisme est une attitude obligée des pays neufs, secourir ceux-ci au nom des principes de liberté, lutter contre le colonialisme et ses vestiges, voilà un programme qui ne manque pas de largeur ni de profondeur.
C’est le programme de la grandeur que le président Kennedy offre à ses compatriotes, et, au-delà des Américains, à l’Occident tout entier.
Livre à lire, car cette analyse succincte ne saurait en indiquer tous les aspects. ♦