Ce n'est pas le moindre paradoxe que ce soit à travers une critique d'inspiration marxiste, celle de M. Goldring (dans Démocratie, croissance zéro), que la connaissance de la Commission trilatérale, cette sorte de « Société de pensée » accusée d'être une émanation des multinationales, ait été répandue dans un large public français. L'auteur retrace ici les origines et les buts de la Trilatérale, en récapitule les résultats et en cherche les limites, en Europe notamment en raison de l'absence d'un centre politique européen et des problèmes que soulèvent encore les relations économiques inégales tant avec Washington qu'avec Tokyo. Il est vrai que les partisans de la Trilatérale ne manqueront pas de trouver dans de telles difficultés une incitation supplémentaire à leur action de recherche en commun de solutions permettant, malgré la crise mondiale, un développement harmonieux de l'ensemble occidental (au sens large) et un dialogue fructueux avec le Tiers-Monde.
Trilatéralisme
Dès 1970, dans son essai Between two ages, Zbigniew Brzezinski esquissait les contours d’une communauté des nations occidentales développées, fondée sur le triangle Amérique du Nord - Europe de l’Ouest - Japon : « Du point de vue de l’Amérique, les changements les plus importants et les plus prometteurs qui se produiront dans les prochaines années se manifesteront en Europe de l’Ouest et au Japon. L’aptitude que montreront ces pays à maintenir leur taux de croissance économique et à conserver des formes politiques relativement démocratiques agira plus profondément sur l’évolution d’un nouveau système international que ne pourront le faire des modifications éventuelles dans les relations américano-soviétiques. C’est de l’Europe de l’Ouest et du Japon que proviendront probablement des initiatives destinées à donner une nouvelle texture aux relations internationales, et comme ces régions sont, de même que l’Amérique, à l’avant-garde du progrès scientifique et technologique, elles sont, avec elle, les plus importantes du globe » (1).
Sans doute le professeur de Columbia constate-t-il que le régionalisme politique européen est encore à naître : l’Europe est toujours dirigée « de façon anachronique, par une série de chefs de clans locaux, qu’en certaines occasions le potentat de Washington vient visiter l’un après l’autre » ; mais, dans la nouvelle génération, une prise de conscience européenne est en cours, favorisée par l’influence de la science et de la technologie. Au Japon, l’orientation future est incertaine : le bouleversement culturel intervenu depuis le second conflit mondial, la précarité d’un équilibre entre les traditions et les institutions démocratiques modernes, la présence militaire et politique des États-Unis particulièrement voyante, peut susciter un grave conflit de générations et la renaissance d’un nationalisme mêlé de radicalisme idéologique à même de « déstabiliser » la région Pacifique ; autant de raisons d’amarrer solidement le Japon à l’ensemble occidental. Au demeurant, l’instauration d’un « bilatéralisme » Amérique du Nord – Europe occidentale – Japon ne constituera qu’une première étape : la communauté des nations développées s’étendra, un jour, aux pays communistes les plus avancés : « à longue échéance… la bonne volonté de l’Union soviétique sera encouragée par l’offre de coopérer avec l’Ouest à des entreprises européennes communes et par la création d’organismes Est-Ouest qui n’auront à l’origine d’autre but que de permettre le dialogue, l’échange des informations et d’encourager la naissance d’un état d’esprit de coopération ».
Mais, dans le même temps – au début des années soixante-dix – s’affirme le grand dessein diplomatique de l’Administration républicaine. Dans l’action de Richard Nixon et d’Henry Kissinger, le « triangle stratégique » Washington-Moscou-Pékin occulte passablement le « triangle des alliés ». Il s’agit d’abord de réinsérer l’Union soviétique et la Chine dans le jeu international, de les soumettre à un code de comportement – comme le montrent le rapprochement spectaculaire avec la Chine et l’issue positive des premières négociations soviéto-américaines sur la limitation des armements stratégiques. Quant aux rapports avec les alliés, si les propositions d’Henry Kissinger reprennent certaines des perspectives chères à Brzezinski, leur mise en œuvre reflète surtout l’ambiguïté de la position américaine sur l’émergence de nouveaux pouvoirs au sein du monde occidental.
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