Au moment où est rédigé cet article, le Premier ministre turc, M. Ecevit, vient de plaider devant les instances de l'Otan à Bruxelles et à Washington le dossier de son pays dont la défense est affaiblie par l'embargo sur les livraisons d'armes américaines. Il doit se rendre aussi prochainement à Moscou. Déçue par les États-Unis et estimant trop élevé le prix de sa participation à l'Otan, la Turquie est tentée d'adopter un nouveau concept de défense qui s'inspirerait sinon du neutralisme du moins d'une politique plus indépendante à l'égard des États-Unis. L'auteur retrace l'évolution de la politique extérieure de la Turquie, ses orientations actuelles et les possibilités qu'elle a de les infléchir.
La Turquie dans le monde d'aujourd'hui
En 1954, Georges Duhamel publiait une série d’articles dans Le Figaro ; il y présentait la Turquie comme une « Puissance d’Occident ». Occidentale par l’organisation démocratique de son pouvoir et l’orientation de sa politique étrangère : puissance par sa population, ses possibilités et sa situation. Près de vingt-cinq ans plus tard, on doit constater que, si les liens avec l’Occident n’ont plus la même simplicité, la Turquie occupe dans le monde une place de premier plan : l’évolution récente de la politique américaine à son égard, l’intérêt que lui portent tant l’Union Soviétique que l’Allemagne Fédérale en sont les signes les plus évidents.
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L’histoire, les potentialités économiques du pays expliquent ce fait non moins clairement que les données géo-politiques. La Turquie actuelle, forgée par Atatürk, a gardé de l’Empire Ottoman la Thrace avec Istanbul et le plateau anatolien. Elle se présente comme un vaste quadrilatère, allongé sur 1 500 km et dont la superficie (780 000 km2) est bien supérieure à celle de la France. Sa population s’accroît à un rythme rapide : de 40 millions en 1975, elle devrait dépasser les 50 millions vers 1985. En termes pugilistiques, cette seule donnée en fait le poids lourd de la région. Dans le domaine économique, le pays dispose d’atouts importants. Les richesses géologiques ou énergétiques, souvent considérables (lignite, hydro-électricité, mais peu de pétrole) sont encore imparfaitement exploitées. L’agriculture, qui occupe 75 % de la population, est d’un rendement moyen (terrains peu productifs, recours à des techniques archaïques, rôle parasitaire de la grande propriété) mais offre de très larges possibilités, notamment avec l’extension de l’irrigation. Bref, avec une forte croissance du Produit National Brut (+ 7 % depuis cinq ans) et de la production industrielle (+ 10 %), la Turquie a réussi son « décollage économique ».
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