On lira certainement avec intérêt ce livre épais, dans lequel l’auteur raconte une vie riche en péripéties et constamment mêlée à l’actualité. Gustav Régler sortait de l’adolescence à la fin de la Première Guerre mondiale. Il vécut la période de convulsions intérieures qui déchirèrent alors l’Allemagne, hésitant entre les opinions à suivre et le parti à prendre, attiré par le socialisme et le communisme, rebuté par le nazisme et fuyant son pays lorsque celui-ci triompha. Il trouva refuge en France, fit des voyages en URSS sans réussir à se laisser convaincre par les attraits du monde soviétique, combattit en Espagne contre Franco, puis se retira finalement au Mexique, avant de pouvoir revenir dans son pays, profondément blessé par les ballotements de sa vie publique et les deuils de sa vie privée.

Il raconte en témoin, parfois en partisan. Mais sa conclusion marque bien son profond désarroi : la dernière phrase de son livre est la suivante : « Qui a le droit de juger ? » Ce n’est pas un reniement de son passé, des attitudes qu’il fut amené à prendre devant les événements et les hommes. Mais avoir si intensément vécu pour arriver à résumer en une phrase une philosophie somme toute si banale, c’est la marque d’un échec.

On peut se demander si cet échec personnel n’est pas le symbole des destinées individuelles de notre époque. De grands mouvements ont soulevé des millions d’hommes, souvent de façon frénétique. Que reste-t-il de ces enthousiasmes, de ces activités, de ces dévouements, au fond de chaque conscience, lorsqu’est venu l’âge de la réflexion, du retour sur soi-même, de l’autobiographie écrite ou seulement pensée ?

Que ce livre conduise à de semblables remarques, que ce récit d’une vie parmi tant d’autres amène le lecteur à réfléchir sur sa propre vie et sa propre expérience, c’est ce qui le rend à notre avis particulièrement notable. Mais le décor dans lequel s’est déroulé cette vie, les hommes que l’auteur a connus, rencontrés, aimés ou haïs forment un autre sujet d’intérêt : une description de l’Europe d’entre les deux guerres. ♦