La route du Cosmos
La lecture de ce livre sur les perspectives de l’astronautique donne le vertige, un vertige sans danger, car on peut se raccrocher, comme à une rampe solide, à un raisonnement logique, précis et accessible même à ceux qui n’ont qu’une connaissance imparfaite des mathématiques, de la physique et de la chimie.
Après avoir rappelé dans ses premiers chapitres les données de base sur les fusées et les satellites artificiels, données que l’on pourrait dire communes, tant on a pu en entendre parler depuis quelques mois, et notamment depuis le lancement du premier Spoutnik, le 4 octobre 1957, M. Albert Ducrocq indique les conditions du voyage dans la Lune, dans Mars et dans Vénus, en montrant que la science récente de l’astronautique en a résolu les problèmes en théorie, et que les difficultés des applications proviennent des réalisations techniques, suffisamment avancées cependant pour que de tels voyages aient quitté le monde de l’utopie pour entrer dans celui des possibilités prochaines. En effet, on peut conclure des études et des expériences actuelles qu’il existe trois paliers successifs : le premier, qui se caractérise par des vitesses de 10 à 15 km/seconde ; il est déjà en partie atteint, puisque les satellites artificiels dépassaient 10 km/s, et permettrait, à 15 km/s, l’envoi de fusées dans la Lune et autour de la Lune ; le second, qui permettrait l’installation de stations dans les planètes voisines de la Terre, au prix de vitesse de l’ordre de 18 à 25 km/s ; le troisième enfin, au-dessus de 26 km/s, qui comporterait la possibilité de voyages aller et retour réguliers.
Mais comment atteindre de telles vitesses ? Les solutions actuellement utilisées peuvent théoriquement être employées, mais exigeraient des fusées à multiples étapes, dont le poids total serait prohibitif. Il faut donc trouver d’autres solutions.
La chimie nouvelle ouvre des perspectives dans le remplacement des hydrocarbures par des hydroborures, et mieux encore par l’utilisation de l’hydrure de lithium ; mais on peut voir plus loin, et envisager le remplacement, comme comburant, de l’oxygène par le fluor. On peut prévoir actuellement qu’il sera possible, au terme des travaux entrepris, de placer à 1 000 k de la Terre un satellite pesant deux tonnes, de déposer sur Mars un matériel de 250 kg, de faire faire un aller et retour Terre-Mars-Terre à un objet d’une dizaine de kg.
L’auteur étudie ensuite comment pourraient être créées de véritables stations laboratoires, permettant de faire une exploration rationnelle de l’Espace, qu’elles soient des satellites ou qu’elles soient installées sur la Lune ou sur les planètes voisines. Il explique ce que seraient ces stations, ce que seraient les chenillettes qui se déplaceraient sur des sols nouveaux. La presse a déjà vulgarisé ces anticipations, que le lecteur trouvera ici commentées et reliées à tout un système de raisonnement.
Mais cette exploration ne constitue qu’une première phase du travail d’ensemble. La propulsion atomique ouvre des perspectives plus profondes encore que celles de la chimie nouvelle. Le moteur H est bientôt prêt à prendre la relève des réacteurs les plus modernes ; on sait qu’il a été réalisé au cours de 1957. Quand il sera entré dans le domaine de l’application courante, il permettra mieux qu’une exploration, une exploitation d’un domaine immense ouvert pour la première fois à l’homme.
L’homme pourra-t-il, matériellement, effectuer les voyages interplanétaires ? L’auteur pense que tous les problèmes de la vie dans les futurs moyens de locomotion sont solubles ; la présence de la fameuse chienne dans le Spoutnik III a bien montré qu’un organisme vivant pouvait supporter des conditions de vie vraiment extraordinaire. Mais, pense M. Albert Ducrocq, la présence de l’homme sera inutile ; le but de l’astronautique n’est pas de permettre aux hommes de traverser les espaces interplanétaires ; il est de leur donner la possibilité de le connaître. L’automation donnera à l’homme la faculté d’être informé de l’Univers ; en même temps, elle lui apportera de nouvelles conceptions. L’homme – c’est-à-dire tous les hommes – prendra conscience d’appartenir à une unité, face à un monde immensément élargi. En même temps qu’il découvrira ce monde, il découvrira aussi, suivant des normes nouvelles, le monde de la pensée.
C’est sur cette perspective philosophique que s’achève ce livre, dont la lecture est particulièrement intéressante et actuelle. ♦