La grande illusion – Quand la France perdait la paix, 1914-1920
La grande illusion – Quand la France perdait la paix, 1914-1920
Le centenaire de la Grande Guerre a été l’occasion de nombreuses publications avec un certain renouveau de l’historiographie autour d’un conflit dont les conséquences sont encore réelles aujourd’hui tant en Europe qu’au Levant.
S’il est impossible de rendre compte de toute cette production littéraire et scientifique, certains ouvrages sont indispensables. Celui-ci l’est indéniablement, d’autant plus qu’il est l’œuvre de la maturité. Il n’est plus nécessaire de présenter Georges-Henri Soutou (1) dont les travaux font référence depuis longtemps. Son dernier livre est essentiel pour comprendre, au-delà du fait guerrier lui-même, pourquoi la France fit la guerre et quels en furent ses objectifs. En plus de la récupération inéluctable de l’Alsace-Lorraine, Paris avait des ambitions parfois contradictoires et une obsession majeure : assurer sa sécurité face au Reich allemand. Ce fait a dominé la politique étrangère française avant la guerre avec la recherche permanente d’alliances, en particulier avec la Russie des Tsars. Ce sera le cas pendant le conflit, avec Londres, mais aussi en cherchant le ralliement d’autres États comme l’Italie, puis les États-Unis ou certains États slaves. Et bien sûr, après le 11 novembre et l’ouverture des négociations préparant les Traités de paix, Paris va tout faire pour obtenir des garanties en vue d’affaiblir durablement l’Allemagne.
Il serait illusoire de vouloir ici analyser de manière exhaustive ce livre, tant il est riche d’enseignements et d’informations puisés dans le secret des archives qui se sont ouvertes récemment. C’est ainsi que Georges-Henri Soutou montre qu’il y eut des tentatives de négociations secrètes entre Paris, Berlin et Vienne. Négociations compliquées et infructueuses, tant les protagonistes étaient peu disposés au moindre compromis, d’autant plus que l’heure était à l’exacerbation du sentiment patriotique. Du côté français, il faut souligner globalement une inflexibilité qui n’a pas permis de poursuivre des discussions qui auraient pu aboutir. C’est ainsi que les propositions de Vienne, relayées par le Saint Siège, restèrent vaines… Autre intérêt de cet ouvrage remarquable, les processus décisionnels, notamment en France, se limitant à un nombre très restreint de décideurs politiques et militaires comme Poincaré, Delcassé, Painlevé, Paléologue, Clemenceau ou Joffre et Foch. Et sans médiatisation ou prise en compte de l’opinion publique, contrairement à aujourd’hui, permettant une conduite centralisée, voire secrète de la politique étrangère, malgré les sensibilités différentes, comme en 1917 où une paix séparée aurait pu être réalisée avec Vienne.
Le livre revient également sur la question sensible de l’unité allemande, vue du côté français, acquise pour les uns en 1871 et devenue irréversible, à remettre en cause pour d’autres avec l’ambition de détacher la Rhénanie du reste de l’Allemagne. Cet objectif a longtemps guidé Paris, persuadé de pouvoir remettre en question l’unité du Reich. L’illusion a coûté cher au final. À l’inverse, personne ne remettait en cause l’Empire austro-hongrois, même si revenaient régulièrement les volontés sécessionnistes de certains peuples sans nation ou État pour les représenter. Et paradoxalement, celui-ci s’est effondré de lui-même, à l’automne 1918, aboutissant à l’implosion de l’Europe danubienne et dont les conséquences sont encore sensibles aujourd’hui. Il faut ici noter que le révisionnisme hongrois, encore fort actif, y a pris ses racines.
Un autre élément apporté par ce livre est l’émergence à Paris d’une idée européenne en considérant que la dépendance économique mutuelle pourrait permettre de réduire les risques de guerre, préludant à ce qui sera effectivement mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale avec la CECA, puis la CEE. Les prémices furent posées cependant dès 1918. Mais, hélas, l’illusion d’un rapprochement avec l’Allemagne fut totale, après la signature du Traité de Versailles et des autres traités.
La France n’a pas su en effet construire un système de paix durable par manque de pragmatisme mais aussi de compréhension des évolutions internationales, notamment celles souhaitées par les États-Unis du président Wilson. Indéniablement – et le titre en est l’écho – Paris a échoué dans ses objectifs en voulant réduire brutalement la place de l’Allemagne. L’échec a été également dans l’incapacité à comprendre que le modèle républicain, celui de la IIIe République, suffirait à effacer le « militarisme » du modèle prussien. La démocratie ne s’impose pas uniquement par l’encre d’un traité.
La lecture de cet ouvrage est donc indispensable, non seulement pour les historiens, mais pour tous ceux qui ont à traiter de questions internationales. En effet, un siècle après que les canons se soient tus un 11 novembre, force est de constater que l’échec de la paix de 1918 est encore palpable aujourd’hui : revendications territoriales et identités nationales autour du Danube avec la Grande Hongrie ou la Grande Serbie, crise des Balkans et place de la Grèce dans l’Europe, durcissement des relations avec la Russie autour de l’Ukraine, éclatement des États et des frontières dans le Levant avec l’implosion de la Syrie et de l’Irak… Les plaies d’hier ne sont pas encore cicatrisées ! ♦
(1) NDLR : G-H. Soutou est également membre du conseil d’administration de la RDN.