Les enseignements de la guerre de Corée
Est-il aussi prématuré que se le demande l’auteur d’écrire dès maintenant un livre sur les enseignements d’une guerre dont on n’aperçoit pas encore la fin. Une explication des événements est en tout cas la bienvenue, car peu de guerres en ont déroulé une série d’événements plus contradictoires, et l’on conçoit l’embarras où doivent se trouver ceux qui ont à faire choix des matériels et de l’organisation de l’Occident au cours d’un coûteux réarmement. On doit reconnaître au moins à l’auteur le mérite de se prononcer, sur tous les points, avec une vigueur dont nos lecteurs auront pu juger au chapitre sur « La fortification » publié ici même (numéro d’août-septembre 1952).
À l’enfoncement des lignes sudistes par des chars communistes anciens en juin 1950 a succédé une longue période d’impuissance du matériel blindé lourd le plus récent. M. Camille Rougeron fait remonter cette impuissance à 1945, et son analyse de « la confusion entre protection et blindage », comme du rôle de celui-ci en tant que « multiplicateur des coups au but » ouvrira bien des horizons aux défenseurs de l’arme blindée. L’artillerie, qui, selon lui ne réussit pas même des opérations de détail avec des tonnages de munitions sans exemple au cours des deux premières guerres mondiales, n’est pas jugée avec plus de respect : « sa vulnérabilité, son inutilité, sa nocivité », sont démontrées avec un luxe d’arguments demandés aussi bien à la guerre de Corée qu’aux plus célèbres des officiers de l’arme, tels Marmont et Napoléon. Seule, l’infanterie trouve grâce à ses yeux, avec le combat corps à corps dans des ouvrages de campagne dont la puissance d’arrêt n’a jamais été atteinte par les plus coûteux des ouvrages permanents. M. Camille Rougeron reprend à son compte la formule du général John Church, remplaçant le général Dean disparu aux premiers jours de la campagne après avoir fait le coup de feu à la tête de quelques hommes contre les fantassins ennemis qui l’entouraient, et déclarant à sa prise de fonctions : « C’est presque exclusivement une guerre d’infanterie et il appartiendra au soldat de battre l’ennemi à son propre jeu. »
Les difficultés de l’aviation sont pareillement soulignées. Après le triomphe de l’aviation tactique, lorsqu’aux premiers mois de la campagne elle arrêtait aussi bien les assauts d’infanterie qu’elle détruisait les chars ou les canons les appuyant de leur feu, l’auteur découvre qu’il ne faut plus guère compter davantage sur son appui direct dans l’offensive que dans la défensive. Après les succès de cette même aviation dans « l’encagement » de troupes en ligne, on s’aperçoit que la plus forte densité d’avions qui ait jamais été affectée à cet appui indirect n’empêche plus l’armée encagée de recevoir ses munitions et son ravitaillement, et de relever régulièrement ses troupes en ligne pour leur entraînement. Les gros bombardiers isolés qui, au début de 1951, abattaient encore les intercepteurs communistes assez imprudents pour s’attaquer à eux, ne passent plus aujourd’hui que sous la protection d’une puissante escorte ; il a même fallu longtemps limiter leur action au voisinage immédiat des lignes. On voit la variété des problèmes traités en ce livre, qui, comme les Enseignements de la guerre d’Espagne, du même auteur, ne manquera pas de faire sensation dans les trois armées de France et de l’étranger. ♦