Billet – Ceux de la péniche
Avec la fin des chaleurs estivales et du temps des touristes est revenu celui des promenades sur la Seine et des retrouvailles avec des camarades perdus de vue, dont il faut supporter les jérémiades lorsqu’ils se lamentent que la boussole du monde est cassée alors que ce sont eux qui ne savent plus la lire. Ça disputa donc de tout et de rien, comme de ce test que je leur soumis, de la baignoire à vider, du seau et du dé à coudre. Leurs réponses furent à la mesure de ces handicapés incapables de penser out of the box, ceux dont Léon Bloy écrivait dans Exégèse des lieux communs qu’ils ont décidé une bonne fois pour toutes de ne plus faire usage de la pensée : le seau, ça va plus vite mais le dé à coudre enlève jusqu’à la dernière goutte… Tempête sous des crânes jusqu’à ce qu’un des ânes de Buridan montre un quai et s’écrie : un petit Syrien échoué !
Et tout le monde d’éclater de rire, et les discussions de délaisser les vacances au Crotoy pour disserter de la guerre, puisqu’il se trouva un stratège de salon (voir Le Cadet de juin 2011 au début de l’opération contre Kadhafi) qui avait tout compris en regardant C dans l’air, et nous expliqua que tout ça c’était la faute de la CIA qui arma Ben Laden, mais qu’il faut faire l’inverse de ce qu’on a fait jusqu’à maintenant en Syrie, qui est l’inverse de ce qu’on avait fait en Libye, qui était déjà l’inverse de ce que les Américains firent en Afghanistan, qui était le contraire du Vietnam… Vite, une boussole russe, dont l’aiguille bloquée finira bien par indiquer le bon amer ! Tous écoutèrent notre expert de gare « battre du tambour devant sa boutique. La guerre lui paraissait somme toute bienfaisante. Je ne peux avoir tant de courage avec le sang des autres » (Jean Guéhenno).
Ceux de la péniche n’étaient ce soir-là que les échantillons d’une génération infatuée à proportion de son impuissance, qui fait six caisses trois petits fûts dès qu’elle dépêche deux Rafale quelque part en Méditerranée mais ne prévoit pas le coup d’après. Que nous laissera-t-elle d’autre qu’un champ de ruines, elle qui regarde détruire Palmyre et dont l’inconséquence a ramené au temps des murs, des trains et des camps de réfugiés une Europe aussi désemparée qu’une poule trouvant un couteau ? Je fis remarquer que la guerre contre Daesh durait depuis quatre ans, alors qu’en 1815 il avait fallu quatre jours de combats aux coalisés pour régler la question corse. On me répondit que le temps des batailles était dépassé et qu’il fallait penser stratégique et global, les grands mots quand on ne sait pas où on va. J’objectai que lorsqu’il avait fallu liquider Saddam on avait pris les seaux, sorti les B-52 et fait du carpet bombing. Mais ça aussi c’était avant, d’ailleurs nos armées n’ont que des dés à coudre puisqu’on leur demande de faire la guerre, pas de les gagner. Il me vint alors l’envie de transformer la péniche en baignoire nationale, pour causer comme le citoyen Carrier. Sinon, une baignoire se vide en tirant la bonde, et ça ne prend qu’une minute.
Il reste 0 % de l'article à lire