Billet – Réfugiés et terrorisme : ne pas confondre
Cet été, je discutais avec un ami concernant la question des réfugiés. Cet homme éduqué m’expliquait très sérieusement qu’ils étaient une vraie menace car il y avait plein de jihadistes envoyés par l’État islamique parmi eux. Fichtre ! Comment une telle idée peut-elle s’être répandue auprès du grand public ?
En effet, elle ne répond pas à la stratégie de l’EI qui ne consiste pas à envoyer des commandos de terroristes en Europe, se distinguant en cela profondément d’Al-Qaïda. Au contraire, l’EI appelle les musulmans de tous pays à rejoindre le territoire qu’il contrôle pour participer, sur place, à l’instauration d’un califat. Autrement dit, une stratégie d’importation et non d’exportation. Une sorte de « Islamistes de tous les pays, unissez-vous et pour commencer, rejoignez l’aile marchante de ce jihad, ici, au Levant ». Al-Qaïda, au contraire, avait annoncé la stratégie « au loin » : constatant les échecs des soulèvements locaux dans les années 1990 (Algérie, Tchétchénie, Bosnie), Ben Laden voulut porter chez l’ennemi des coups, de façon à susciter son effondrement. Ce fut le 11 septembre : un choc, non un effondrement, car heureusement nos sociétés sont plus solides qu’il ne l’imaginait.
En revanche, l’EI annonce que si on ne peut pas rejoindre le califat, on peut « entamer la lutte localement avec les moyens disponibles ». Mais il ne s’agit que d’une option de secours.
Quant aux réfugiés, l’EI a bien indiqué au printemps qu’il allait envoyer des myriades. Mais il s’agit alors de surcharger les capacités des pays d’accueil. Ce qui est le cas. Toutefois, sur 300 000 migrants décomptés au premier semestre 2015 en Europe, un gros tiers seulement vient de Syrie. Les autres viennent d’Afghanistan, d’Érythrée, du Kosovo… Rien à voir avec l’EI. Surtout, leur augmentation exponentielle tient à l’ouverture du passage libyen, mais aussi et surtout de la route turque. Pas de l’EI.
Enfin, à supposer que l’EI veuille envoyer des commandos en Europe, il utiliserait les sympathisants déjà installés, ensuite il n’emprunterait pas les moyens ô combien risqués utilisés par les migrants pour transporter un commando dûment préparé (donc précieux).
Certes, le djihadisme tel qu’il est mis en œuvre par l’EI constitue un grave problème. La question des migrants en constitue également un autre. Aucun des deux n’est d’ailleurs près d’être résolu. Cela n’est pas une raison pour tout confondre et mélanger des phobies qui obscurcissent le raisonnement.
C’est ce que j’ai essayé de dire à mon ami. Je crains de ne pas l’avoir convaincu…