Dans un récent numéro (automne 1978) de l’excellente revue trimestrielle Commentaire, l’écrivain américain Edward Luttwak déplorait l’absence de véritable réflexion stratégique que révélaient les débats auxquels donnaient lieu les SALT aux États-Unis. Raymond Aron, préfaçant cet article, soulignait ce point de vue en ces termes : « Un accord russo-américain affecte toujours la sécurité des alliés des États-Unis ; il ne doit pas être apprécié exclusivement en fonction de l’échange de coups nucléaires entre les deux Grands. À supposer que l’accord SALT II entraîne une réduction des dépenses consacrées par l’Union soviétique aux armements dits stratégiques (ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent), les Soviétiques ne dépenseraient-ils pas les sommes épargnées pour leur armée et leur flotte, plus redoutables pour les Occidentaux que les vecteurs intercontinentaux, de toute manière assez nombreux ? » « Ainsi cette étude restaure la pensée stratégique définie comme l’analyse systématique de tous les moyens militaires à la disposition de la politique des États ».
On peut donner des réponses diverses à la question posée par Raymond Aron, mais en tout cas l’article du général Pierre-Marie Gallois illustre parfaitement la définition qu’il donne de la réflexion stratégique. L’article – en fait il s’agit de la communication qu’il a faite au Colloque sur la sécurité de l’Europe organisé le 4 avril 1982 par l’Académie Diplomatique Internationale – passe en revue un certain nombre d’hypothèses concernant l’usage que l’Union soviétique peut faire de ses forces armées et la fonction de celles-ci dans le cadre de sa politique générale. Cet article permettra par ailleurs à nos lecteurs de mieux saisir la pensée du général Gallois et de comprendre tout le sens de son intervention à notre Colloque du 15 mars sur l’évolution stratégique des deux Grands dont nous rendons compte dans ce même numéro.