La Syrie aura vécu un été fertile en événements : le massacre des cadets de l’École d'artillerie d'Alep, un combat aérien opposant ses MiG aux F-15 israéliens dans le ciel du Sud-Liban, la mise en cause du Baas syrien dans le « complot » déjoué à Bagdad… Apparemment, le général Hafez al-Assad a surmonté la crise la plus grave du régime qu'il a instauré en 1970. La sérénité volontiers affichée par les dirigeants damascènes dans la conduite des affaires tant intérieures qu'extérieures n'a-t-elle pas pour seul objectif de minimiser les craintes que beaucoup éprouvent aujourd'hui quant à la stabilité des institutions baassistes ?
L'auteur, détaché à l'Institut français des relations internationales (Ifri) où, suivant en cela l'exemple de son père, Pierre Rondot, il s'intéresse particulièrement à l'évolution du Proche-Orient. Il se trouvait en Syrie, puis au Liban, au moment de cette récente crise. Il s'interroge ici sur la réalité des menaces qui pèsent sur le régime du général Assad en y apportant l'éclairage d'observations faites sur le terrain.
Avec le massacre, le 16 juin 1979, de plus d’une cinquantaine d’élèves-officiers de l’Académie militaire d’Alep, les Frères musulmans ont réussi, avant tout, à donner à leur contestation un relief spectaculaire qu’une série, pourtant impressionnante, d’attentats perpétrés ces derniers mois contre des personnes connues pour leurs liens avec le pouvoir en place ne leur avait pas procuré. En prenant le risque, une semaine plus tard, d’engager au-dessus du Liban, ses Mig 19 et 21 contre des F 15 israéliens, aux performances supérieures, l’état-major syrien décidait de mettre un terme aux spéculations que l’on faisait, ici et là, sur la passivité de la Syrie devant la dégradation de la situation au Sud-Liban. Au même moment, l’importante délégation syrienne conduite par le général Hafez al-Assad rentrait de Bagdad à l’issue d’un sommet que l’on jugeait, dans cette dernière capitale, avoir été assez décevant. À la fin du mois suivant, en annonçant la découverte d’un « complot » au sein même de son parti (le Baas), le nouveau président de la République irakienne, mettait en cause une « partie étrangère » dont il ne semble plus faire de doute qu’elle désignait la Syrie.
La tuerie d’Alep, suivie aussitôt d’une répression sans précédent contre les Frères musulmans (vingt condamnations à mort) (1), la perte de quatre Mig dans l’inégale bataille du 27 juin, l’accusation à peine voilée du « frère irakien » avec lequel on avait célébré, il n’y a pas si longtemps, des retrouvailles prometteuses, ne semblent pas avoir affecté la sérénité du président Assad et de son entourage. Le peuple syrien, s’il a manifesté une réelle émotion, est resté lui aussi étrangement calme. Ceci tient certes à la popularité du chef de l’État mais est dû aussi au fait que, depuis de longues années, la Syrie vit mobilisée, en état de guerre. Cela ne signifie pas pour autant que le régime, baassiste et militaire, soit exempt de faiblesses dont il ne porte pas, d’ailleurs, l’entière responsabilité.
La question qui se pose est de savoir si les assises du pouvoir baassiste, que l’on qualifie aussi d’alaouite, sont bien solides. On le prétend avec assurance à Damas. On le conteste parfois ailleurs. Sans doute le président syrien possède-t-il beaucoup d’ennemis. À l’intérieur, ce sont les intégristes musulmans qui lui reprochent en premier lieu la place faite aux membres de sa communauté d’origine, les Alaouites. Ce sont aussi quelques groupes de contestataires – laissés pour compte du régime – rassemblés dans une opposition diffuse. À l’extérieur, ceux qui attribuent au général Assad une volonté hégémonique dont l’objectif serait la reconstitution, sous son autorité, d’une Grande Syrie se sont inquiétés d’abord d’un rapprochement opéré avec la Jordanie, de l’action syrienne au Liban ensuite et des perspectives d’union avec l’Irak enfin. D’autre part, l’attitude de vigilante fermeté observée jusqu’à maintenant par Damas dans le processus d’établissement de la paix au Proche-Orient est de nature à susciter quelques manœuvres pour affaiblir la position syrienne, manœuvres dont l’origine ne se trouve pas seulement du côté de Tel-Aviv.
Une citadelle menacée ?
Des ambitions régionales ?