Brassey’s Naval Annual, 1948
Rompant avec la tradition pour des raisons excellentes (le petit nombre des changements survenus en 1947 dans la composition des flottes de guerre), la nouvelle édition du célèbre annuaire anglais ne traite qu’en sept brefs chapitres de la politique navale contemporaine et de l’évolution subie au cours des douze derniers mois par les principales marines du monde. Chapitres d’ailleurs remarquables comme de coutume, et dont certains, tel celui où figure le rapport adressé par l’amiral Nimitz à son administration à la veille de sa mise à la retraite, ont une valeur documentaire de premier ordre. Mais les renseignements numériques, les plans et silhouettes de navires qui donnaient au Brassey sa physionomie classique manquent cette année.
Fort judicieusement, l’amiral Thursfield a préféré leur substituer la publication intégrale, en quelque 470 pages, des conférences navales du Führer entre 1939 et 1945, ainsi que de nombreuses pièces annexes et des « notes » – formant fond de tableau – où l’Amirauté britannique a résumé, d’après des témoignages allemands ou alliés, les événements de guerre issus de ces conférences ou qui les ont provoquées. Source d’information infiniment précieuse, que les archives navales allemandes commencent à peine à s’entrouvrir, les « conférences du Führer » n’étaient pas inconnues du public : à plusieurs reprises la presse anglaise en avait divulgué les larges extraits. Mais, seuls, de rares privilégiés – dont notre Revue Maritime, qui en a condensé le contenu dans ses numéros de novembre 1947 à juin 1948 – avaient obtenu communication du texte in extenso. Ce texte est mis aujourd’hui pour la première fois à la disposition du lecteur.
On ne saurait, cela va de soi, rendre compte en quelques lignes d’une matière aussi riche. Elle embrasse toute la politique et toute la stratégie navales allemandes pendant plus de quatre ans de guerre (bataille de l’Atlantique ; conquête du bassin méditerranéen, emploi des forces combinées dans le Grand Nord et, à l’heure des revers, dans la Baltique ; vicissitudes de l’alliance germano-italienne, crises internes du commandement ; problèmes des constructions neuves et du combustible, etc.). Mais trois ou quatre faits cruciaux dominent et éclairent cette longue histoire. Hitler, suivi par la quasi-totalité de son entourage, n’a presque jamais cessé de penser en « européen » et en « continental », incapable de comprendre qu’une marine puissante, judicieusement utilisée et soutenue par des forces terrestres comme par des forces aériennes appropriées, lui eût seule permis de contrecarrer les plans des Alliés établis pour leur part à l’échelle mondiale. Qu’il se soit agi des opérations Seeloewe (le débarquement en Grande-Bretagne) ou Félix (la prise de Gibraltar) en 1940 et 1941, de l’action des navires allemands, détachés sur les côtes norvégiennes (toujours bridée par des considérations défensives), de l’occupation de Malte en 1942, les suggestions remarquablement intelligentes de l’amiral Raeder se sont heurtées à l’incompréhension et aux préjugés. La guerre contre l’URSS en 1941, l’abandon en 1942 de la campagne de Malte pour celle d’El Alamein ont été des défaites du chef de la Kriegsmarine avant de devenir des défaites allemandes. Pareillement, Raeder ne réussit à obtenir ni le concours sans réserves de la Luftwaffe, ni que, au défaut de ce concours, la flotte du Reich fut une « flotte équilibrée », grâce à la construction des porte-avions qui lui manquaient.
Sans doute la situation changea quand, en janvier 1943, Dœnitz eut remplacé Raeder disgracié. Par son dynamisme comme par son loyalisme fanatique, le nouveau chef de la Kriegsmarine exerça sur Hitler une influence profonde, il parvint à l’intéresser à la guerre navale beaucoup plus que n’avait fait son prédécesseur (l’histoire des efforts désespérés imposés à l’armée pour conserver le littoral de la Baltique méridionale, zone d’entraînement des sous-marins, en est une preuve aussi convaincante que négligée jusqu’à présent par les historiens). Mais Dœnitz n’avait pas l’envergure d’esprit d’un Raeder : demeuré, malgré quelques repentirs, un « sous-marinier » exclusif, il berça Hitler de la dangereuse illusion que les armes nouvelles, depuis la torpille acoustique jusqu’à l’U type XXI à grande vitesse de plongée, suffiraient encore à forcer la victoire. Faute de pondération et d’une formation stratégique suffisamment large, le seul marin que le Führer ait écouté avec complaisance ne sut qu’ajouter aux malheurs de l’Allemagne en prolongeant inutilement la guerre.