L’influence de l’armement sur l’histoire
C’est un livre capital que le major général Fuller, qui est bien avec Liddell Hart, le représentant le plus qualifié de la critique militaire anglo-saxonne, vient de consacrer à ce grand sujet.
L’auteur a eu le privilège de parcourir une carrière qui lui a permis de mettre en action ses théories sur le champ de bataille. Dès l’École de Guerre de Camberley, il avait prédit, par exemple, avant 1914 que c’était autour de la mitrailleuse que devaient être organisées les forces d’infanteries destinées à l’attaque décisive. Au cours de la guerre, c’est lui qui avait, dans l’armée britannique, mis au point la tactique d’emploi de l’arme nouvelle qu’était le char de combat inventé au même moment en France par le colonel Estienne et, en Angleterre, par le colonel Swinton. Il élabora le plan de l’attaque de Cambrai du 20 novembre 1917. Après la guerre, il fut adjoint au chef d’état-major impérial britannique et quitta le service actif en 1933. Il inaugura alors sa carrière, si brillante, d’écrivain militaire en 1935-1936. Il fut correspondant du Daily Mail pendant la guerre italo-abyssine. De 1936 à 1938, il vécut la guerre civile espagnole. Pendant la Seconde Guerre mondiale il écrivit plus de cinq cents articles pour des journaux américains et britanniques.
Le général Chassin a donc eu grandement raison de traduire et de préfacer son œuvre capitale qui est comme la synthèse de toutes ses observations et réflexions sur la guerre.
Elle n’est pas moins, en effet, qu’une esquisse de l’histoire universelle mais en fonction des armements, de l’humanité, divisée par Fuller en plusieurs chapitres : l’âge de la bravoure, l’âge de la chevalerie, celui de la poudre, celui de la vapeur, celui du pétrole, enfin celui de l’énergie atomique. Pour l’auteur, la guerre est un élément essentiel de la civilisation humaine et elles exercent l’une sur l’autre des influences réciproques ; la guerre accélère le cours des civilisations. Nous sommes même, selon lui, entrés malheureusement dans une phase de l’histoire de l’Humanité où c’est la guerre qui commande et où c’est la civilisation qui s’adapte à elle.
En tout cas, Fuller ne craint pas de proclamer que c’est toujours le meilleur armement qui gagne les guerres ou, tout au moins, qui rentre pour 99 % dans l’obtention de la victoire. Nous en sommes arrivés au point où, grâce au perfectionnement de la technique, on peut envisager une guerre de robots contre robots. Il n’empêche que la « loi du facteur tactique constant » est, pour l’auteur, éternelle ; l’énergie atomique domestiquée trouvera en elle-même l’antidote à la bombe, en permettant la création de « moyens de transport aériens capables de franchir des milliers de kilomètres à l’heure en portant des milliers de tonnes dans leurs flancs ».
Malgré tout, Fuller reste idéaliste ; il croit que l’on peut humaniser la guerre et que sa seule conception intelligente consiste à en faire un moyen d’obtention d’une paix meilleure au lieu d’une entreprise de destruction pour la destruction. On voit l’ampleur des problèmes posés par l’auteur. Leur simple énumération suppose une somme vraiment gigantesque, non seulement d’expériences, mais de documentation, et peu de livres donnent autant à réfléchir.