L’agression allemande contre la Pologne
Le livre de l’ambassadeur Léon Noël, Une Ambassade à Varsovie 1935-1939, est comme un complément au livre de M. André François-Poncet sur son Ambassade à Berlin. Les deux capitales étaient, en effet, des postes d’observations de premier plan, à la veille de la guerre, pour qui savait voir et prévoir. Léon Noël excella dans cette double tâche : à l’ambassade de France à Prague (1932-1935), puis à Varsovie (1935-1939).
Il nous a donné, en une étude qui ne compte pas moins de cinq cents pages, une documentation et des jugements d’une inestimable valeur sur la politique hitlérienne et ses répercussions dans l’Est européen. Le livre n’a pas le pittoresque de celui de son collègue ; ce ne sont pas des mémoires, ni une histoire même partielle, des origines de la dernière guerre. Léon Noël révèle qu’un grand nombre de notes et de documents qui lui auraient été indispensables ont été perdus. Une valise, contenant la partie la plus précieuse de ses affaires personnelles, et confiée à un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, a été brûlée, avec tout ce qu’elle renfermait, dans la chaudière d’un navire ancré sur la Gironde, aux heures d’affolement précédant l’armistice. Toutefois, la mémoire de l’ambassadeur, sa connaissance profonde du personnel et des questions lui ont permis de nous donner une série de souvenirs et de réflexions précieuses pour l’histoire diplomatique de l’avant-guerre.
C’est, en outre, non point l’œuvre d’un partisan, mais d’un juge extrêmement loyal, sinon indulgent, de la politique pratiquée aussi bien par la Pologne vis-à-vis de la France que par la France vis-à-vis de la Pologne. La sympathie qu’a toujours manifestée Léon Noël à l’égard de nos amis ne lui ferme pas les yeux sur leurs faiblesses. Il ne dissimule pas combien les successeurs de Pildsuski se sont montrés inférieurs au créateur de la Pologne moderne qui, lui-même, n’était, d’ailleurs, pas exempt de maintes déficiences. Celui qui, aux yeux de Léon Noël, porte la plus grande part de responsabilités dans les erreurs fatales de la politique polonaise est le tout-puissant ministre des Affaires étrangères Beck qui, par son astuce, son audace, sa duplicité fréquente, était parvenu à être maître quasi absolu de la politique étrangère de son pays ; ce n’est que très tardivement et à la veille même de la catastrophe qu’il semble être revenu à de meilleurs sentiments à l’égard de la France et avoir, enfin, compris à quelles aberrations l’avaient entraîné sa germanophilie et son manque de confiance envers notre pays ; celui-ci, sous la conduite de ministres des Affaires étrangères généralement insuffisants, soit par caractère, soit par volonté, soit par préjugé politique, n’avait pas eu non plus, pour guider une Nation dont elle avait, imprudemment, assumé une manière de tutelle, la fermeté indispensable. Toutes ces fautes ont été mises à nu par l’ambassadeur de France d’une manière parfois brutale. En tout cas, son récit, d’une densité de faits et d’une plénitude de pensée hors de pair, sera lu avec passion par tous ceux qui voudraient ne pas voir les deux grands pays retomber dans les mêmes fautes.