Discours du Premier ministre à la séance de clôture de la 60e session régionale de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à Lyon le 29 février 1980.
La défense de la France
C’est pour moi un réel plaisir de participer à Lyon à la séance de clôture des travaux de la 60e session de l’I.H.E.D.N. et de vous donner le témoignage de l’intérêt que le gouvernement porte aux travaux de votre Institut.
Je suis heureux, en raison des liens qui m’attachent à Lyon, de voir ici rassemblés, autour des plus hautes autorités civiles et militaires, des représentants des principaux secteurs de l’activité de la région qui ont accepté pendant un mois de consacrer une part importante de leur temps à réfléchir en commun sur les problèmes de la Défense nationale. Je me plais à souligner le caractère bénéfique de cette institution qui réunit dans un cadre pluridisciplinaire des hommes issus des horizons les plus variés, ayant en commun le sens de l’expérience et des responsabilités.
Le général Marty, après avoir exposé comment s’est déroulé votre cycle d’études et comment il s’insère dans le cadre général des sessions nationales et régionales de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, a rappelé avec une grande hauteur de vues ce que sont les grands axes de la politique extérieure de la France : indépendance – fidélité à nos alliances – recherche de la détente dans la vigilance ; construction d’une Europe Occidentale organisée et maîtresse de son destin ; aide au développement des pays du Tiers-Monde. Il a très justement mis l’accent sur les notions fondamentales d’indépendance et de liberté et sur le caractère apparemment paradoxal de telles exigences dans une communauté internationale de plus en plus interdépendante dans les faits et qui ressent de plus en plus cette interdépendance. Prenant exemple de la communauté européenne que vous avez plus particulièrement étudiée lors de votre session, il a mis en évidence les limites et les conditions d’une construction multinationale ; il a montré que notre volonté d’indépendance nationale est à la fois nécessité politique et exigence morale ; qu’elle n’inspire ni n’autorise un repli sur soi-même ; qu’elle respecte la vocation historique et universaliste de notre pays à jouer son propre rôle dans le monde.
Il a su enfin trouver les mots les plus justes pour caractériser l’esprit de défense qui doit animer tous les Français, faisant appel au sentiment profondément authentique du respect et de l’attachement des Français pour la France.
Je remarque combien ces propos témoignent d’une remarquable continuité de la politique française et singulièrement de la politique de défense de notre pays. Les grands principes qui en ont été définis par le général De Gaulle constituent depuis vingt ans les fondements de la politique suivie par la 5e République – je dois dire qu’ils ont été les principes presque éternels de la politique étrangère de la France. Les critiques, les oppositions des premières années ont fait place au consentement quasi unanime des diverses tendances de l’opinion : les analystes étrangers ne manquent pas de souligner le caractère exemplaire d’un tel consentement.
Mais je remarque aussi que l’actualité nous offre, en ce début de 1980, matière à confirmer nos choix et à persévérer dans nos orientations.
Nous abordons en effet la nouvelle décennie dans un climat de graves difficultés économiques à l’échelle mondiale et de regain de tensions internationales. Devant les périls, l’opinion manifeste un intérêt nouveau pour les problèmes de la défense ; elle s’inquiète des dangers qui menacent notre pays du fait de nos vulnérabilités économiques et de notre dépendance de l’extérieur en matière d’énergie ; elle évoque aussi les risques de déstabilisation et d’affrontements qui pourraient dégénérer en conflits armés.
Autant de périls, autant de défis pour notre génération. Mais le plus grand des défis des années 80 sera bien entendu le défi de la Paix.
C’est pourquoi les Français approuvent, dans leur immense majorité, les efforts soutenus et cohérents que le gouvernement a consentis dans le passé et continue à consentir pour nos armées. Dans une conjoncture économique particulièrement difficile, l’effort budgétaire, qui consacre un pourcentage croissant de la richesse nationale au budget des armées, se traduit par un renforcement continu de la capacité de nos forces nucléaires et la préparation des systèmes stratégiques et tactiques de la deuxième génération. Mais nous poursuivons aussi, avec la même persévérance, la modernisation de nos forces militaires conventionnelles. Aucune de ces composantes n’est sacrifiée, car la politique de défense ne saurait reposer exclusivement sur la menace des représailles massives ; la volonté de défense et la détermination trouvent à s’exprimer en deçà du seuil dramatique des situations extrêmes. L’existence de forces armées capables de défendre nos intérêts face à des agressions mineures, de manifester notre solidarité à nos alliés ou d’apporter un soutien à nos amis, est le complément indispensable de nos forces nucléaires. Les exemples récents de l’action de la France dans des crises internationales sont dans toutes les mémoires.
La conception de notre appareil de défense militaire a pris en compte les mutations de notre temps. Le temps n’est plus en effet où les relations politiques et économiques internationales étaient réglées selon des termes de référence stables et clairs. Nous avons connu l’époque où, dans un monde dominé par l’affrontement des deux blocs, les comportements des États-Unis et de l’U.R.S.S. étaient relativement prévisibles. Nous avons connu le temps où les économies s’ordonnaient autour d’une monnaie dont la puissance était indiscutée et dont la stabilité était un fait, le dollar, où les prix de l’énergie ne connaissaient pas de brutales augmentations.
Aujourd’hui, dans tous ces domaines, c’est l’incertitude et l’imprévu qui dominent : de nouveaux centres de décision, de nouveaux foyers de conflits idéologiques et religieux modifient profondément les rapports politiques et économiques. Désormais, notre politique doit nous permettre de faire face aux événements inattendus : nous devons avoir la capacité de réagir vite, d’apporter les parades appropriées aux situations les plus diverses.
Telles sont aussi les nouvelles exigences de notre défense. Vous avez rappelé, mon général, qu’il ne saurait y avoir de défense militaire sans préservation des grands équilibres démographiques, économiques et sociaux de la nation. L’action que conduit le gouvernement dans tous ces domaines est tout entière fondée sur la volonté de faire face à toutes les éventualités ; non seulement pour répondre aux événements dans le court terme, mais également pour faire en sorte que, dans le moyen et dans le long terme, notre pays ait une capacité de réagir à toutes sortes de situations. Cette conception s’inscrit parfaitement dans les textes qui régissent notre défense nationale ; l’ordonnance de janvier 1959, qui demeure le fondement de notre organisation, procède d’une même inspiration en reconnaissant que la défense est multiforme et concerne toutes les activités de la nation. Elle s’exerce dès le temps ordinaire pour permettre à nos structures de faire face à des situations de gravité croissante, dans diverses éventualités de crises internationales.
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Si l’incertitude et l’imprévu dominent aujourd’hui le contexte international, une difficulté supplémentaire apparaît avec la nécessité de procéder à un changement profond des mentalités et des comportements.
Je prendrai pour exemple les affaires économiques.
La France s’est reconstruite, modernisée, développée depuis la fin de la deuxième guerre mondiale comme elle ne l’avait jamais fait auparavant ; elle a connu une amélioration constante et régulière du niveau de vie ; les anticipations des Français étaient sans cesse tournées vers le mieux et vers le plus. Il était normal que, dans un tel climat psychologique, les Français n’aient pas immédiatement compris, dans un premier temps, la nécessité des efforts qui leur ont été demandés pour faire face au retournement complet de situation qui a suivi le premier choc pétrolier de 1973-1974. Mais lorsqu’on observe avec un certain recul l’évolution des faits et des esprits, on constate que les Français sont, contrairement à l’idée que certains cherchent à accréditer, lucides et courageux ; leurs efforts tenaces depuis plusieurs années leur permettent aujourd’hui de commencer à réduire leur dépendance énergétique, d’affronter la compétition internationale avec des entreprises rénovées, et de garantir la force et la stabilité de leur monnaie.
Dans le contexte social et économique d’aujourd’hui, les vertus essentielles sont l’initiative et la responsabilité ; les réformes progressives qui s’introduisent dans l’État, dans l’administration, dans les entreprises, dans les relations sociales, doivent toutes aller dans le même sens pour que le pays soit en mesure de sauvegarder l’acquis, de faire face à toutes les éventualités et de maîtriser l’avenir.
Tels sont bien, en fin de compte, les objectifs et les conditions d’une défense moderne : lucidité devant les conditions nouvelles d’une situation internationale difficile, courage et détermination pour relever le défi de la paix sans abandon ni complaisance, confiance dans les vertus d’initiative et de responsabilités qui sont inséparables d’une authentique conception de la Liberté.
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Assurer la défense de la France, ce n’est pas seulement préserver le patrimoine, garantir le territoire, protéger les biens et les citoyens. C’est aussi exprimer sa volonté de bâtir l’avenir.
Les difficultés, les périls du temps présent, nous invitent à regarder les réalités en face, à faire la part des choix fondamentaux, des décisions essentielles parmi les innombrables sollicitations d’une actualité politique trop souvent futile.
À vous qui venez de réfléchir pendant plusieurs semaines sur les affaires de défense de la France, je vous demande de poursuivre vos réflexions et vos efforts quotidiens pour consolider les structures et les forces vives de la nation. C’est l’œuvre que nous devons poursuivre tous ensemble pour garantir l’avenir de nos enfants et permettre à la France de faire face avec solidité et efficacité à la compétition des dernières années du 20e siècle et pour garder son rang dans le troisième millénaire.
Pour avoir conduit depuis plus de trois ans le gouvernement de ce pays dans des circonstances particulièrement difficiles, j’ai la conviction que notre peuple est capable de trouver, dans les qualités de son génie propre, les ressources de courage et d’imagination qui lui permettront de relever ce défi. ♦