Engagez-vous - La relance stratégique de la France
Engagez-vous - La relance stratégique de la France
Aurait-il pu trouver un meilleur titre ? Engagez-vous, le dernier livre de l’amiral Jean Dufourcq, qui traite de « la relance stratégique de la France », se trouve délivrer un message remarquablement actuel, compte tenu des récentes et dramatiques attaques terroristes à Paris. Sans l’engagement de tous et de toutes, sans la préférence pour la France, notre liberté politique est condamnée.
L’auteur en est conscient. Et il appelle, avec une passion sourde mais vibrante, à retrouver l’ambition d’une grande France. Il voit dans ce projet la meilleure garantie de la sécurité, à rebours de la fermeture, du repli et de la peur.
C’est à ce message que s’attachera le lecteur, plutôt qu’à une analyse générale, traditionnelle et émue, de la situation de la France qui en dit plus sur la personnalité de l’auteur, son engagement d’homme, de soldat, de parent et de chrétien, que sur la France elle-même. Car le message politique sonne clair, haut et fort, en des temps de confusion et d’égarement. Le marin parle, et dit qu’il faut penser la grande France, celle qui articule la profondeur eurasiatique, le voisinage méditerranéen, l’engagement européen. Autrement dit, penser la France sans le Maghreb, sans l’Afrique, sans la Russie et l’Asie centrale, c’est se contenter d’une France en petit. Il dit aussi que l’espace maritime est la richesse de demain, mais que c’est un champ de bataille, un territoire à conquérir et un domaine à défendre. Il doute que nous en prenions les moyens. Le soldat attaché au mot juste du point de situation et aux circonstances exactes dont la bataille dépend, s’accommode mal des à peu près, des exagérations et des emportements du moment. Il tempère les ardeurs combattantes de ceux qui n’ont que le mot de « guerre » à la bouche, même quand ils ne savent pas qui est l’ennemi, et moins encore comment l’affronter. La lutte contre Daesh, qu’il faudra bien se résoudre à nommer de son nom, l’État islamique, justifie-t-elle le terme de « guerre » ? Encore faudrait-il mieux cerner l’étrange association de gangstérisme, de fanatisme religieux et de revanche politique qui semble caractériser une entité que tout paraît condamner et dont la résilience n’est pas le caractère le moins troublant – nourrie de quelles complaisances ? Le stratège évente le piège de la guerre des civilisations dans lequel, au nom d’un occidentalisme qui n’a plus ni consistance, ni portée géopolitique, ni valeur humaine, la France est précipitée par l’incapacité de ses dirigeants à nommer et à dire ; l’exemple d’un Ministre qui parle de « neutralisation » des terroristes, quand ils sont morts, et de la « lande » de Calais, de peur que le mot « jungle » n’évoque des connotations racistes, est éloquent ! Le chrétien pourrait y ajouter la vaste confusion entretenue autour du mot de « laïcité », qui a été détourné de son sens pour devenir une machine de guerre contre tous les croyants, à commencer par les chrétiens qui ont donné à l’Europe son identité, et qui n’est pas pour rien dans la radicalisation de l’Islam, caricaturé en sous-culture soluble dans la mondialisation. Il le conduit à trancher sur le conformisme des « néo-cons » qui se sont emparés de la politique extérieure de la France ; il juge l’attitude de l’Otan à l’encontre de la Russie agressive et dangereuse, il apprécie par contrepartie la rugosité consistante de la Russie et du monde orthodoxe, et il mesure à leurs conséquences désastreuses l’aventurisme des États-Unis et de leurs épigones français. Il rappelle la continuité entre la diplomatie et les armes ; il signale aussi les impasses et les fausses pistes dans lesquelles le refus de penser la puissance, le conflit et le rapport de forces, ont enfermé la France, de Livre blanc convenu en Livre blanc convenable.
Il est tentant de prolonger l’analyse de Jean Dufourcq. Par exemple, en interrogeant le réchauffement climatique comme un facteur de déstabilisation majeur pour une Europe, déjà confrontée à plus de dix millions de candidats africains à l’immigration, aujourd’hui bloqués dans la zone du Sahel ; qu’en sera-t-il demain ? Par exemple, en questionnant les grands projets d’infrastructure transcontinentaux chinois et russes, les perspectives qu’ils offrent à la France de sortir de la colonisation américaine et en examinant les conditions concrètes d’une avancée eurasiatique vers un monde recomposé. Aussi, en posant à nouveaux frais la question de la défense ; si souveraineté, identité, Nation, ne veulent plus rien dire, qu’y a-t-il à défendre que des milices, des sociétés de gardiennage ou des drones ne puissent protéger ? Et encore, en esquissant les traits d’un monde d’après la mondialisation qui ne soit pas celui de la guerre de tous contre tous, la France peut-elle réinventer ce dialogue avec l’universel qui fut si longtemps la marque de son génie propre ? Et peut-elle le faire sans travailler à un équilibre des puissances qui est le seul garant durable de la paix ?
Tel quel, avec ses ouvertures, son souffle et son appel à une France en plus grand, le livre de Jean Dufourcq s’inscrit dans la belle tradition des essais politico-stratégiques français. Et il rappelle que l’art du stratège est d’abord de bien écrire ce qu’il a longtemps pensé. N’est-ce pas la première condition pour être lu, compris et retenu ? ♦