La bataille de Verdun a été un moment capital pour l’armée française avec la prise de conscience de devoir élaborer une nouvelle doctrine. Le général Pétain en a été l’artisan car il a véritablement pris en compte les enseignements tirés depuis l’été 1914. Le succès de 1918 a, hélas, sanctuarisé la doctrine qui se paiera en 1940.
Verdun, ou le tournant de la doctrine française
Verdun, where the turning of the French doctrine
The battle of Verdun has been a major moment for the French army to be aware that they should elaborate a new doctrine. General Pétain was the craftsman of it since he was truly aware of the education drawn since the summer of 1914. The success in 1918 had, unfortunately, sanctuarized the doctrine that had consequences in 1940.
Pour tout le monde, il est acquis que la bataille de Verdun a constitué l’acmé de la Grande Guerre tant du côté des Français que de celui des ennemis allemands. Par sa durée, par sa violence, par l’ampleur des destructions comme par l’absence de résultats militaires probants, elle a marqué une rupture stratégique. Au bout de plusieurs mois de combats ininterrompus sans résultats décisifs, il est en effet apparu évident que la logique de l’usure de l’ennemi ne pouvait continuer à constituer le cœur de la méthode choisie jusqu’alors à moins de détruire complètement le pays. En remettant en cause en partie la théorie de la « bataille décisive » théorisée par Clausewitz et adoptée par Foch en 1903 – sous des vocables variés hésitants entre attaque décisive, guerre totale, masse de rupture, ordalie – la bataille de Verdun de 1916 a contraint les autorités militaires à formuler une nouvelle doctrine ou plus exactement à mettre au jour une doctrine qui n’était à cette date que balbutiante. Tout le monde étant désormais convaincu que la doctrine est le multiplicateur de force qui manque pour vaincre l’adversaire allemand, il a fallu structurer une nouvelle forme de pensée militaire, synthèse des systèmes préexistants. Dès lors, il convient de s’interroger sur la manière dont la bataille de Verdun a entraîné l’éclosion d’une pensée doctrinale nouvelle capable d’intégrer dans un même ensemble les différentes armes et les niveaux de réflexion militaire, stratégique et tactique, et dans une moindre mesure, opératif ?
La pensée doctrinale avant 1914, un volapuk
Saisir l’évolution de la doctrine au cours de la Grande Guerre nécessite de faire un état de l’art en 1914. Qu’en est-il en effet de la doctrine française juste avant la guerre ? Que signifie alors le mot doctrine au regard Des Principes de la guerre de Clausewitz ou de Foch (1), des Règlements des armées, de la Conduite des opérations des grandes unités, des plans de guerre, etc. ; quelle est la place des notions d’offensive et de défensive dans le cadre de ces raisonnements ?
Pour remonter aux origines du débat, si l’on fait un temps abstraction du poids de la pensée napoléonienne, il n’est pas exagéré de dire que la pensée militaire française est une adaptation de la pensée militaire allemande (2). À la suite de la guerre de 1870 en effet, convaincue de ses erreurs tactiques et traumatisée par sa défaite (3), la France envisage de se réformer en prenant pour modèle… son vainqueur. Ainsi l’Allemagne ne se contente-t-elle pas d’imposer ses règles ; elle impose aussi, plus discrètement, sa Kultur (4). Au cours des années 1875-1895, sur fond de développement de la presse périodique, les militaires français – quoique réduits au silence sur un plan politique – bénéficient d’une extraordinaire liberté intellectuelle qui leur permet d’écrire, de publier articles et livres en grand nombre (5). De façon très désordonnée, sans grande direction d’ensemble, l’École de Guerre et les états-majors des différentes armes deviennent des lieux de « bouillonnement intellectuel ». Là, sous la plume des officiers, une pensée militaire française s’organise, se densifie grâce à une multiplication exponentielle de publications périodiques privilégiant chaque arme (6). On réalise à la fois ses analyses rétrospectives sur les raisons de la défaite et des études prospectives. Dans le même temps, on modifie les lois militaires afin de renforcer l’armée et de préparer la revanche, on cherche enfin dans les progrès de l’armement des solutions nouvelles.
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