La Russie fragilisée par les sanctions liées à l’annexion de la Crimée, et la Chine confrontée au besoin de relancer sa croissance, se sont engagées dans de nouvelles voies de partenariat avec, de part et d’autre, des intérêts stratégiques majeurs mais distincts, dans une perspective d’affirmation de puissance.
2015 : de nouvelles voies pour le partenariat stratégique sino-russe
2015: new pathways for the Sino-Russian strategic partnership
Russia is weakened by sanctions related to the annexation of Crimea. And China, confronted by the needs of relaunching its growth, is engaged in new ways of partnership with, on both sides, different but important strategic interests, in a perspective of affirming its power.
En 2014, soumise aux sanctions occidentales et exclue du G7, la Russie a dû accélérer son mouvement vers l’Asie. Cette accélération donne d’ailleurs lieu à des analyses quelque peu caricaturales de la part de certains médias occidentaux. The Economist avance ainsi qu’en conséquence du conflit en Ukraine et de ses effets internationaux, Moscou « a proclamé » un pivot vers l’Est, et qu’elle espère que la Chine remplacera les marchés de capitaux occidentaux et absorbera une part plus importante des exportations russes de pétrole, ressources naturelles et autres produits alimentaires. Or, l’effort de rééquilibrage de la diplomatie russe vers l’Asie a été engagé il y a déjà plusieurs années (cf. I. Facon), et si la Russie a en effet intensifié cet effort en réponse aux sanctions occidentales, elle ne se fait pas de grandes illusions quant à la possibilité de compenser pleinement et rapidement, via ses partenariats en Asie, Chine incluse, le marasme de ses rapports économiques avec le monde occidental.
The Economist a cependant de bonnes raisons d’insister sur le développement des liens entre Moscou et Pékin, en effet remarquable sur fond de crise ukrainienne. En dépit de sa défiance à l’égard de tout ce qui est susceptible d’encourager le séparatisme, la Chine s’est abstenue de critiquer l’annexion de la Crimée et le soutien russe au séparatisme dans le Donbass : « Les diplomates et dirigeants chinois ont… conscience de ce qui a conduit à la crise [ukrainienne], y compris la série de “révolutions de couleur” soutenues par l’Occident dans des États post-soviétiques et la pression exercée sur la Russie par l’expansion de l’Otan vers l’Est », explique une officielle chinoise (cf. Y. Fu) (1), dans un discours somme toute très proche de celui tenu par le Kremlin. En parallèle, la Russie, en quête de soutiens politiques et de sources de financements complémentaires, s’est engagée plus profondément dans des coopérations avec la Chine sur lesquelles elle avait jusqu’alors plutôt cherché à temporiser – qu’il s’agisse d’énergie (avec, en particulier, la signature de l’accord de mai 2014 sur le gazoduc « Force de Sibérie ») ou d’armement.
Dans leurs analyses du rapprochement sino-russe, les observateurs occidentaux insistent sur le fait que la Russie est contrainte par les nouvelles réalités « post-Ukraine » à un resserrement indiscriminé des liens avec la Chine, ce qui selon eux la condamne à terme, et, dans le meilleur des cas, au statut de junior partner vis-à-vis de Pékin (« tigre géant, petit ours », titre The Economist pour qualifier l’état de la relation commerciale). Des internationalistes russes relèvent pour leur part que l’architecture complexe de la politique étrangère telle que poursuivie avant 2014 par Moscou a, cette année-là, « pris un grand coup » et que « l’équilibre est, au moins pour l’instant, perdu » (cf. Trenin). Cette politique consistait à rechercher une balance entre les puissances globales – États-Unis, Chine, UE – et à décliner cet effort au plan régional (Chine, Inde, Japon). Cependant, Moscou s’applique activement à pallier les inconvénients immédiats et potentiels de la nouvelle situation sur le « front chinois ».
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