Le cyber est un champ d’action majeur dans le cadre de la guerre hybride, en démultipliant les possibilités de déstabilisation. L’appui cyberélectronique devient une composante essentielle pour dématérialiser un conflit tout en imposant à l’adversaire des dommages réels en limitant sa liberté de manœuvre.
De la guerre hybride à l’hybridité cyberélectronique
Concerning Hybrid Warfare and Cyber-Electronic Hybridity
Cyber issues comprise a major field of action in the context of hybrid warfare, multiplying possibilities for destabilization. Cyber-electronic support has become an essential component to the diffusion of conflict, but at the same time imposes real damages on the adversary by limiting its maneuvering freedom.
Les armées occidentales modernes, dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale, se sont formées durant des années pour affronter les forces du bloc soviétique dans un conflit dit « conventionnel ». Cherchant à théoriser la guerre pour répondre à des schémas doctrinaires connus, elles se sont orientées sur une forme de réponse presque mathématique. Pourtant confrontées à des conflits asymétriques (Irak, Afghanistan…), elles ont perdu de vue que la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens (Clausewitz), et que soumettre l’ennemi sans croiser le fer, « voilà le fin des fins » (Sun Tzu). A contrario, les forces russes ont mené à deux reprises, en Géorgie (2008) puis en Crimée (2014), des opérations dans un cadre juridique et environnemental complexe mettant en œuvre une tactique en apparence novatrice. Bénéficiant d’un contexte insurrectionnel favorable, ces engagements nous invitent à la réflexion. Aujourd’hui, le sort tant de l’Ossétie du Sud que de la Crimée semble définitivement scellé et ce, malgré une contestation interne comme de la communauté internationale. En effet, dans ces deux crises, les opérations militaires ont réussi dès leurs premières phases. Au-delà de la supériorité numérique écrasante, c’est bien évidemment la manœuvre russe, combinant des actions à la fois sur le terrain mais également dans le champ des perceptions, diplomatique, ou encore dans le cyber-espace, qui explique ces réussites. Cette « nouvelle » forme de conflictualité a été théorisée sous l’appellation de « guerre hybride » (1). Elle n’est pourtant pas nouvelle, mais les possibilités offertes par l’utilisation du cyberespace, d’une part, et l’évolution du système international, d’autre part, expliquent ce renouveau.
La guerre hybride un large concept complexe à définir
Avant tout, qu’est-ce que la guerre hybride ? Le terme même de guerre hybride fait aujourd’hui débat. Certains y voient une nouvelle forme de stratégie qui utiliserait l’ensemble du champ des possibles. D’autres encore y voient, au niveau tactique, une forme de guerre alliant succession d’actions conventionnelles et non-conventionnelles. Concentrons-nous donc d’abord sur ce qui caractérise ces conflits dits hybrides. La première caractéristique repose sur son caractère limité. À l’opposé de la montée aux extrêmes clausewitziennes, les belligérants d’un conflit hybride sont contraints par une notion de « seuil » qui ne doit en aucun cas être franchi, au risque de sombrer dans une guerre totale conventionnelle et donc d’avoir des conséquences négatives sans commune mesure avec les gains attendus. Pour ce faire, les belligérants vont donc utiliser tous les modes d’action possibles pour rester « sous le seuil ». Ici encore, la liste de ces modes d’action potentiels est sans fin : diplomatique, « proxy war », déstabilisation ou mesures dans le champ économique, et bien évidemment cyber. Depuis la fin de la guerre froide, nous vivons une évolution de plus en plus rapide du système international, ou plutôt l’application d’une forme de « stratégie du flou » (cf. G.-H. Soutou). Dans ce contexte, le concept de guerre « hybride » repousse la séquence clausewitzienne paix-crise-guerre et évolue vers une forme « d’entropie de la conflictualité », caractérisée par sa continuité et par sa croissance en milieu « fermé ».
La seconde caractéristique repose sur les cibles visées par ces conflits. Conformément à cette notion de seuil, elles doivent rester suffisamment périphériques pour ne pas pousser l’adversaire à commencer un conflit majeur et ouvert. En revenant à la trinité clausewitzienne de la guerre, le peuple (et ses passions), l’armée (et son intelligence) et le politique (et ses objectifs), il est possible de caractériser la guerre hybride comme une forme de guerre qui, en évitant soigneusement chacun des éléments constitutifs de cette trinité, ciblerait les relations entre chacune de ces composantes pour perturber in fine la cohérence d’ensemble. Là encore, le cyberespace, support informationnel par excellence, devient un espace de confrontation majeur.
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