Le concept de guerre hybride connaît un succès certain, tant du point de vue institutionnel – nombre d’États l’ont plus ou moins intégré au titre des menaces auxquelles ils auront à faire face – que par la publication de nombreux travaux. Or, il faut aussi constater que les débats entourant l’hybridité rencontrent aujourd’hui plusieurs écueils.
L’hybridité à l’épreuve des conflits contemporains : le cas russe
Hybridity Faced with Contemporary Conflicts: The Case of Russia
The concept of hybrid warfare recognizes a certain success, as much from an institutional point of view—a number of nations have more or less integrated it by way of the threats they face—as from the publication of numerous works. Yet, it is necessary to observe that debates surrounding hybridity today also meet several pitfalls.
Apparu en 2008, le concept de guerre hybride rend compte de l’indistinction parfois difficile entre combats régulier et irrégulier, qu’illustreraient plusieurs exemples, du Hezbollah – très fréquemment cité – aux Tigres tamouls en passant par l’ELPS (Ejército Liberación Popular Saharaui), le Hamas ou encore l’État islamique (1). À ces groupes irréguliers, il faut ajouter des États qui peuvent également faire évoluer leurs forces vers des modes d’action hybrides (2). Reste la possibilité que des armées régulières puissent prendre des atours irréguliers ne doit pas conduire à une interprétation biaisée du concept, voire à son instrumentalisation mal à propos. L’objectif de cet article est de montrer qu’une telle interprétation pourrait aboutir à une déconsidération du concept, manquant de souligner la rupture stratégique se produisant actuellement chez un certain nombre d’acteurs.
Le Kremlin roule en Zil, pas en Prius
L’affaire ukrainienne, les actions subséquentes de la Russie ou encore le hacking de Sony, au moment de la sortie du film américain The Interview, ont ainsi vu le concept être mobilisé dès lors qu’il rendrait compte de la combinaison d’actions irrégulières, subversives, d’une instrumentalisation du droit ou encore de l’usage de l’ensemble du spectre de la guerre de l’information – de l’influence à la guerre médiatique jusqu’aux capacités de cyberguerre. Il semble cependant que la focalisation sur la question russe tend à obscurcir la réflexion stratégique autour d’un concept qui, étonnement, n’est mobilisé que marginalement à propos de l’État islamique qui en constitue pourtant un exemple bien plus éclatant. En mettant en évidence la combinaison d’une guerre par proxy interposé – les rebelles du Donbass – que l’on a armé (ou laissé armer) ou encore des « petits hommes verts » de Crimée, couplé à l’usage d’une guerre de l’information, a-t-on cependant affaire à quelque chose de neuf qui justifierait dans le chef des stratégistes une rupture ?
La réponse semble a priori négative. La guerre par proxy n’est pas une nouveauté. La guerre du Vietnam, vue de Hanoï ou l’invasion du Cambodge par le Vietnam (cette fois vue de Moscou) n’en seraient que deux exemples parmi d’autres. Dans le premier cas, des irréguliers directement armés par Hanoï – le Viet-Cong – étaient une pièce maîtresse de la stratégie du Nord-Vietnam, en bénéficiant in fine du soutien de Moscou. Dans le second, il s’agissait de mettre un terme à un génocide en cours tout en cassant l’influence de Pékin sur le régime khmer. L’histoire militaire regorge d’exemples de groupes plus ou moins soutenus par une puissance contre une autre. Qu’une guerre de l’information y soit liée ne constitue pas plus une rupture : la propagande, quelles que soient les formes prises, est consubstantielle aux conflits. Certes, ses moyens de diffusion se sont étoffés mais la rationalité d’une recherche d’influence d’une ou plusieurs audiences (y compris intérieure) est historiquement précoce, comme l’a démontré Hervé Coutau-Bégarie (3).
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