Parler de la « guerre hybride » est au mieux une erreur, au pire un travestissement de la réalité du phénomène « guerre ». L’hybridité est d’abord un effet de mode sémantique pour décrire des évolutions du champ stratégique. Or, l’histoire montre que par nature les conflits ont tous été de forme différente. Une hybridité avant l’heure ?
La « guerre hybride » : escroquerie intellectuelle ou réinvention de la roue ?
“Hybrid Warfare”: Intellectual Fraud or Reinvention of the Wheel?
Speaking of “hybrid warfare” is at best an error, at worst a distortion of the reality of the phenomenon of “war”. Hybridity is primarily an effect of semantic modes of describing evolutions on the strategic field. Yet, history shows that conflicts—by nature—have each possessed different forms. Hybridity ahead of its time?
Depuis une dizaine d’années, un nouveau « concept » stratégique est sur toutes les lèvres dans le milieu militaro-stratégique occidental. Il vient prendre la place ou s’ajouter à tant d’autres, comme nous en avons pris l’habitude depuis déjà longtemps, puisque cet univers semble fonctionner dans le domaine linguistique comme s’il n’était régi que par le marketing : tout comme de nouveaux produits de consommation, un « concept » chasse l’autre dès que son aura baisse et que la machine a besoin d’être relancée.
Pour l’heure, la mode est donc à la « guerre hybride », ainsi que certains croient pouvoir qualifier les conflits qui se développent un peu partout dans le monde, de l’Ukraine à la Syrie et du Sri Lanka au Mexique. Cette « hybridité » peine pourtant à être définie, et le Département américain de la Défense lui-même semble ne pas s’y être trompé, puisqu’il a prudemment déclaré ne pas envisager de publier une doctrine de la guerre hybride, arguant du fait que cette catégorie était trop diverse. On le comprend. Cette tâche délicate échoit donc aux universitaires, aux journalistes spécialisés, aux analystes, aux officiers des forces ou à ceux qui doivent rédiger un mémoire académique. Et que nous disent-ils ? Que la guerre hybride voit se mêler la guerre dite conventionnelle (avec des armées régulières équipées d’armes de haute technologie) et la guerre dite non-conventionnelle (guérillas menées par des groupes armés irréguliers possédant un armement léger et relevant d’un niveau technologique très limité). Que ces groupes de guérilleros eux-mêmes tendent à utiliser intensément les technologies modernes à leur disposition, non seulement dans le domaine des armements proprement dits (quand ils parviennent à en disposer), mais aussi provenant de ces technologies duales (civiles et militaires) qui inondent désormais les marchés de la grande consommation (ordinateurs, téléphones portables ou satellitaires, GPS, véhicules tous terrains, etc.). Qu’ils savent coupler le déploiement de milices et de forces plus classiques et plus efficaces militairement. Qu’ils peuvent mettre en œuvre des tactiques plus complexes que de simples embuscades, raids et autres opérations de sabotage ou de propagande, tactiques pouvant aller jusqu’à des assauts complexes, voire des embryons de combat interarmes (puisqu’il leur arrive de plus en plus souvent de posséder des armements lourds, tels que des chars ou de l’artillerie). Qu’ils possèdent parfois des embryons de moyens navals ou aériens (navires-mères des pirates somaliens ou marine côtière des Tigres tamouls, défense antiaérienne, petits avions suicide, drones), voire des armes chimiques improvisées. Malgré tout, ces forces savent éviter les faiblesses et les lourdeurs des armées modernes puisqu’elles restent très mobiles et que leurs chefs intermédiaires ou subalternes possèdent de larges marges d’initiative. Que les nouveaux outils informatiques n’ont plus de secrets pour elles, ce qui leur permet d’avoir un accès à toutes les facilités d’Internet (notamment Google Earth) et de pratiquer la cyberguerre. Enfin, qu’elles savent passer à l’offensive, conquérir des territoires et y installer des proto-États, pratiquer intensément la guerre de l’information sous toutes ses formes, et déployer leurs actions dans les champs militaire aussi bien que politique, social et idéologique.
Fort bien. Mais en quoi tout cela est-il véritablement nouveau ? Pas grand-chose, en réalité, comme ont commencé à le montrer un groupe d’historiens militaires américains dans un ouvrage collectif publié voici déjà quatre ans (1). Dans ce livre, neuf exemples historiques sont étudiés dans le but de montrer à quel point toutes les prétendues nouveautés radicales des guerres hybrides actuelles ont été abondamment pratiquées par le passé : l’échec de la tentative romaine de conquête de la Germanie ; l’affermissement de la mainmise anglaise sur l’Irlande pour empêcher les Espagnols d’y débarquer, au tournant des XVIe et XVIIe siècles ; la guerre d’Indépendance américaine ; la guerre de la Péninsule entre 1807 et 1814, lorsque les troupes régulières anglaises combattirent les Français de Napoléon Ier aux côtés des guérilleros espagnols ; la contre-guérilla menée par les Nordistes pendant la guerre de Sécession américaine ; la guerre franco-prussienne de 1870-1871 ; les guerres de conquête coloniale (ou de décolonisation) des Britanniques du XVIIIe au XXe siècle ; la conquête japonaise de la Chine du Nord, jamais menée à bien, entre 1937 et 1945 ; et enfin la guerre du Vietnam, de 1965 à 1975.
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